<127>en galant homme. Ce n'est point par inconstance qu'il a quitté la France; ayant été une fois condamné pour duel par un parlement, le Roi ne peut jamais lui donner sa grâce. C'est une loi que Louis XIV s'imposa lui-même, et que Louis XV a renouvelée à son sacre. Il n'a quitté le Canada que parce qu'il a été ramené en France avec les autres Français. Il fallait donc ou y retourner, ou sortir entièrement du service de France. Il a pris ce dernier parti. Il est bien pardonnable à un Européen d'être ennuyé de faire la guerre contre des sauvages; car, pour une fois qu'on a affaire, dans ce pays, avec les Anglais, il faut se battre dix contre des gens qui, en chantant des vers iroquois, vous ôtent la chevelure, vous brûlent souvent tout vif, et vous mangent après. J'aimerais autant aller prêcher le judaïsme à Lisbonne que d'aller faire la guerre à l'Amérique. V. M. ne me dit point si je dois faire partir mon Provençal pour l'armée de V. M., ou si je dois l'adresser ici à quelqu'un qui lui donnera ses ordres. Je la supplie de me faire savoir sa volonté là-dessus.

Je trouve vos vers, Sire, sur l'apparition de Maupertuis fort jolis; mais je suis fâché de votre incrédulité. Je vois bien que prophètes et revenants sont pour vous également des balivernes et des contes de ma mère l'Oie.a Lucrèce vous a furieusement gâté, et vos sentiments ne sont pas tels que doivent l'être ceux du patriarche et du soutien du protestantisme. Pour moi, qui de ministre anglais suis devenu ministre luthérien de Hanovre, et qui travaille actuellement à une grande et longue lettre que j'écris à un évêque anglais sur la nécessité qu'il y a que la cour de Londres rompe entièrement avec la cour de Russie, et le danger que court la religion réformée, si les vues de commerce l'emportent sur celles du soutien de la vraie foi, je m'accoutume de bonne heure à croire toutes les pieuses impertinences des dévots, afin que mon style ait un air de componction et de piété. Je prendrai la liberté d'envoyer cet ouvrage à V. M. dans quelques jours; mais l'on ne peut jamais finir avec les imprimeurs, surtout moi, qui suis obligé de faire remettre par une autre personne mon ouvrage à la presse pour ne point en paraître l'auteur, ma sainteté et ma


a Voyez t. XV, p. 43.