56. A LA MÊME.

Berlin, 7 avril 1764.



Madame ma cousine,

J'ai reçu, ma chère duchesse, votre lettre à mon retour de Silésie, et j'ai ressenti, en la lisant, le plaisir que tout me fait ce qui vient de votre part. Vous m'envoyez en même temps une lettre sur laquelle vous me demandez mon sentiment. Je suis assez embarrassé que dire sur ce sujet. Si vous avez déjà pris un parti, madame, c'est à moi de me taire; sinon, je vois ce qu'il y a pour et contre le mariage dont il est question. Le pour est l'intérêt d'établir la princesse votre fille, mais de l'établir loin de vous, de la marier à un homme que vous ne connaissez point, et où vous ne la reverrez jamais. Le contre consiste à faire changer de religion à une princesse, petite-fille d'Ernest le Pieux, et d'une maison que les protestants ont toujours regardée comme une des colonnes de leur parti, sans compter l'espèce de mépris que s'attirent ceux qui font une pareille démarche. Henri IV a dit que Paris <238>valait bien une messe; je ne crois pas que la place de duchesse d'Orléans vaille autant.

Voilà, madame, tout ce qu'il y a à dire sur ce sujet. C'est à vous à prendre le parti que vous jugerez le plus convenable. Je souhaite qu'il soit heureux, et que, quelque résolution que vous preniez, elle tourne à votre avantage. Voilà la première fois de ma vie que j'ai été consulté sur des cas de conscience. Je m'en ferai vanité, et j'espère de passer avec le temps pour un grand théologien; mais j'ai encore un espace immense à franchir avant que d'y arriver.

Voilà un empereur que les corps évangéliques et catholiques viennent de faire à Francfort. On a fait jurer une capitulation au nouveau roi des Romains, qu'il violera à la première occasion, et l'on criera alors, on parlera de la bulle d'or, et la cour de Vienne s'en moquera. Tout cela fait pitié, et me met quelquefois en colère contre le flegme germanique.

Mais je m'égare encore à vous faire des contes borgnes, ma chère duchesse, au lieu de vous parler de ce qui m'intéresse le plus, qui est de vous assurer de l'estime et de la considération avec laquelle je suis,



Madame ma cousine,

Votre fidèle cousin et serviteur,
Federic.