<210>

38. A LA MÊME.

Leipzig, 10 janvier 1763.



Madame ma cousine,

Vous avez tant d'empire sur mon âme, et votre éloquence est si vive, que je me vois vaincu et obligé de vous satisfaire. Ce comte Werthern, qui ne mérite peut-être pas votre protection, mais pour lequel vous vous intéressez, madame, en faveur d'une personne que vous honorez de votre amitié et qui la mérite, ce comte Werthern, dis-je, tout otage qu'il est, tout coupable qu'il se trouve de n'avoir pas rempli des engagements contractés avec des marchands de Magdebourg pour des lettres de change, sera relâché, moyennant certains tempéraments qui lui seront proposés. Je respecte trop l'amitié, cette passion des belles âmes,241-a pour ne pas entrer, ma chère duchesse, dans votre façon de penser, et contribuer à votre satisfaction.

Je ne sais ce qui arrivera de moi, mais j'augure un peu mieux de l'avenir que je ne l'ai fait, et j'espère me tirer du mauvais pas où j'ai été jusqu'ici. Enfin, madame, on se flatte toujours, car vous savez que les dieux avaient placé l'espérance au fond de la boîte de Pandore.

Je me souviens d'avoir entrevu à Gotha un petit sanctuaire de porcelaine où je n'ai cependant pas été introduit. Ma dévotion pour la déesse qui l'habite m'a inspiré le dessein de lui consacrer une légère offrande. Mais comme les dieux se contentent plutôt de l'intention des hommes que des misères qu'ils leur présentent, je suppose que la déesse de ce lieu pensera de même. Ceci m'a enhardi à lui consacrer le premier ouvrage de porcelaine qui se soit fait à Berlin. Si mon hommage est trouvé trop indigne de la déesse, il n'y a qu'à casser la porcelaine et à l'oublier.

Vous voyez, ma divine duchesse, mon incongruité, mon ineptie et mon imprudence. Réprimandez-moi, si je l'ai mérité, mais que je ne perde pas votre amitié inestimable, chose la plus précieuse que je possède, et daignez ne point croire, pour quelque <211>étourderie qui m'échappe, que j'en suis moins avec la plus grande considération, amitié, estime et reconnaissance,



Madame ma cousine,

de Votre Altesse
le fidèle cousin et serviteur,
Federic.


241-a Voyez t. VIII, p. 58.