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87. DU COMTE ALGAROTTI.

Padoue, 12 novembre 1753.



Sire,

La lettre dont Votre Majesté m'a honoré dernièrement m'a encore trouvé à Padoue, sur le point de faire un petit voyage pour essayer mes forces. J'ai été à Vicence, où j'ai vu ce que j'espère bientôt revoir à Potsdam. Mais à peine ai-je donné un coup d'œil à Palladio, qu'il m'a fallu garder la chambre pendant deux jours. Le peu de nourriture qu'il me faut prendre me rend extrêmement sensible à toute sorte d'intempérie d'air. Je n'écoute pas les médecins, Sire, surtout lorsqu'ils me répètent qu'il faudrait absolument passer l'hiver en Italie. Je me flatte d'être en état de partir pendant le froid, lorsque les fibres ont plus de ton, et seront en état de soutenir la fatigue d'un long voyage.

Je suis bien charmé, Sire, que V. M. ait choisi pour son opéra le sujet de Montézuma. La différence des habits entre les Espagnols et les Américains, la nouveauté des décorations, feront sans doute un spectacle charmant; et je suis bien sûr que, grâce à V. M., l'Amérique fournira de nouveaux plaisirs à notre âme, ainsi qu'elle fournit de la matière à notre luxe et des agréments à notre palais.

Je dois, Sire, obéir aveuglément à V. M. sur ce qu'elle m'ordonne touchant ses vers.103-a Mais quel beau champ n'aurait-on pas, Sire, s'il était permis de lui faire des représentations!

Parum sepultae distat inertiae
Celata virtus,103-b

pourrait-on lui dire. Pourquoi, Sire, envier le plaisir d'admirer le plus rare poëte, qui, au milieu des plus grandes affaires,

Monta sur l'Hélicon sur les pas du plaisir,103-c

et y fait monter sur les mêmes pas les élus qu'il a bien voulu <92>choisir pour ses lecteurs? Je dois en remercier d'autant plus V. M., qu'elle a bien daigné me mettre de ce nombre. Mais j'avoue, Sire, que je ne suis pas si selfish, comme disent les Anglais, que je ne souhaitasse que tout le monde fût enchanté de ces vers que V. M. a écrits tandis qu'Apollon chantait.


103-a Voyez ci-dessus, p. 96, 101 et 102.

103-b Horace, Odes, liv. IV, ode 9, v. 29 et 30.

103-c Frédéric, Épître à mon esprit, 1749. Voyez t. X, p. 257.