54. DU COMTE ALGAROTTI.

Berlin, 23 septembre 1749.



Sire,

Le mauvais temps qu'on a eu, Sire, les derniers jours, et la crainte où était le prince de Lobkowitz d'exposer Salimbeni aux injures de l'air, ont été cause que notre retour a été retardé. Les plaisirs de la campagne ont été chez moi troublés par quelques attaques de ma maladie, et surtout par deux consultations de médecine que j'ai reçues d'Italie. Tout effrayantes qu'elles sont, je pourrais bien, Sire, m'en moquer, si, malgré les remèdes, je ne ressentais pas toujours du poids dans le corps, de petites sueurs, des espèces de faiblesses et des suffocations, surtout quand je suis en compagnie à table, et que je mange, ce qui fait des sensations bien désagréables dans un temps où l'on en devrait éprouver de tout autres. La chaleur de la chambre, dans une saison où elle devient si nécessaire, augmente encore toutes ces incommodités. Je suis condamné unanimement à la diète la plus médicinale, et je me vois interdit, Dieu sait même pour combien de temps, le souper, ce temps de plaisir avec quoi ceux quos aequus amavit Juppiter78-a couronnent la journée. Voilà un serviteur bien accommodé que V. M. a dans ma personne! J'irai bientôt faire ma cour à V. M., espérant qu'elle daignera bien me plaindre, si je suis obligé de me retrancher la meilleure partie des plaisirs de la vie pour me soumettre aux peines d'une cure devenue trop nécessaire. Mais je voudrais bien, Sire, que V. M. dût croire que je lui ferai dignement ma cour devant le public <70>en continuant l'impression d'un ouvrage pour lequel je n'ai repris tant de fois le rabot et la lime que pour le rendre moins indigne de tout ce que renferme en soi le nom de Frédéric.


78-a Virgile, Énéide, chant VI, v. 129 et 130.