18. AU MÊME.

Ruppin, 29 novembre 1740.

Mon cher Algarotti, je ressens autant de plaisir de vous revoir après une longue absence qu'en pouvait trouver Médor de se rapprocher de sa chère Angélique, avec la différence que mon esprit tout seul participe à cette volupté, et qu'il n'aime à courtiser le vôtre que pour se réchauffer au feu de votre brillant génie.

Mon arrivée à Berlin produirait, je pense, un aussi mauvais sujet de médaille que le nom d'Hercule pouvait établir une conformité entre le cardinal roi et le héros païen. Cependant il se trouverait des médailleurs capables de graver l'une, comme il s'est trouvé un Le Moine assez flasque pour peindre l'autre.

Les Anglais, enfin, vont faire les héros, et les ordres du cabinet royal ont rendu les vents favorables à l'amiral Norris. Remarquez seulement que, lorsqu'il s'agissait de roter à Torbay, le duc de Cumberland y était, et qu'il est absent lorsqu'on met actuellement à la voile. Il danse à Saint-James, au lieu de combattre à la Jamaïque. Je ne sais pas trop encore ce que feront <27>les troupes de terre; mais je présume qu'elles n'auront pas les vents contraires, et j'ai assez de foi pour croire que les circonstances nouvelles et les combinaisons futures rempliront bien les quatre pages des gazettes. Heureux Algarotti, que vous allez avoir de plaisir, sans avoir de peine, ni le rude soin de votre gloire à conserver! Vous verrez la tragédie, et vous sifflerez les acteurs qui ne représenteront pas bien, tandis que la Gaussin, Du Frêne, Crébillon ou Voltaire tremblent pour le succès de la pièce, et emploient toute leur capacité et leurs talents pour la faire réussir.

C'est ainsi que, dans le monde, le ciel partage les destins; les uns sont nés pour travailler, les autres pour jouir. Je vous souhaite et ne vous envie point tout ce que la Providence a daigné faire pour vous, à condition que vous m'aimiez, et que vous soyez persuadé de l'estime que j'ai et que j'aurai toute ma vie pour le cygne de Padoue. Adieu.

Federic.

Keyserlingk doit être à présent à Berlin, sain et guéri de toute infirmité.