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16. AU MÊME.

Remusberg, 16 novembre 1740.

Mon cher Algarotti, je suis fait pour les tristes événements. Je viens d'apprendre la mort de Suhm,a mon ami intime, qui m'aimait aussi sincèrement que je l'aimais, et qui m'a témoigné jusqu'à sa mort la confiance qu'il avait en mon amitié et dans ma tendresse, dont il était persuadé. Je voudrais plutôt avoir perdu des millions. On ne retrouve guère des gens qui ont tant d'esprit joint avec tant de candeur et de sentiment. Mon cœur en portera le deuil, et cela, d'une façon plus profonde qu'on ne le porte pour la plupart des parents. Sa mémoire durera autant qu'une goutte de sang circulera dans mes veines, et sa famille sera la mienne. Adieu; je ne puis parler d'autre chose; le cœur me saigne, et la douleur en est trop vive pour penser à autre chose qu'à cette plaie.

Federic.

17. AU MÊME.

Remusberg, 21 novembre 1740.

Mon cher cygne de Padoue, Voltaire est arrivé tout étincelant de nouvelles beautés, et bien autrement sociable qu'à Clèves. Il est de très-bonne humeur, et se plaint moins de ses indispositions que d'ordinaire. Il n'y a rien de plus frivole que nos occupations. Nous quintessencions des odes, nous déchiquetons des vers, nous faisons l'anatomie de pensées, et tout cela, en observant ponctuellement l'amour du prochain. Que faisons-nous encore? Nous dansons à nous essouffler, nous mangeons à nous crever, nous perdons notre argent au jeu, nous chatouillons nos oreilles par une harmonie pleine de mollesse, et qui, incitant à l'amour, fait naître d'autres chatouillements. Chienne de vie! direz-vous, non


a Voyez t. XVI, p. 445.