<186>Je n'ai point de lettres de Londres depuis le 18, que le vent a été contraire. A vous dire naturellement ce que je pense, je m'aperçois que les Anglais ne veulent pas la paix. Il fallait pourtant en faire la tentative pour le bien de l'humanité et pour n'avoir rien à se reprocher; et, confus de n'être pas de votre opinion, madame, au sujet des opérations de la Providence, je ne saurais me désabuser du préjugé dans lequel je suis que, à la guerre, Dieu est pour les gros escadrons. Jusqu'ici, ces gros escadrons se trouvent chez nos ennemis. J'ai habillé en poésie mes rêves métaphysiques sur ce sujet. J'ai tiré les plus considérables exemples que l'histoire nous fournit de hasards fortunés et malheureux, et, si ce n'est pas abuser de votre indulgence, je prendrai la liberté de vous envoyer un jour cette pièce.c

J'ai lu Hume, madame, et, pour vous en dire mon sentiment avec toute franchise, je vous avoue qu'il me semble qu'il court trop après les paradoxes, ce qui l'égare quelquefois, et le fait tomber en contradiction avec lui-même; il fouette la religion chrétienne sur les fesses du mahométisme,a et partout il en dit ou trop, ou trop peu. La métaphysique, selon mes faibles lumières, veut être traitée avec beaucoup de circonspection, et il ne faut y admettre que des raisonnements rigoureux, où l'évidence soit partout convaincante, ou, si l'on a des ménagements à garder, il vaut mieux se taire. Ce qu'il y a de mieux dans le livre de M. Hume est tiré de Locke; mais l'auteur moderne ne renchérit pas sur l'ancien. Au contraire, il paraît que Locke prête des béquilles à M. Hume pour l'aider à se traîner dans un pays où le terrain semble sans cesse se dérober sous ses pieds. Je vous demande encore mille fois pardon de ce bavardage, madame; je me mêle de vous dire des choses que vous savez et sentez mille fois mieux que moi. Je suis votre enfant gâté; si je vous ennuie, c'est en vérité votre faute. Je vous apprendrai peut-être à moins prodiguer vos bontés, en vous inspirant le repentir de tout ce que vous m'enhardissez à vous écrire. L'homme bénitb est encore


c Épître sur le hasard. Voyez t. XII, p. 64-79.

a Le Roi parle ici de l'Histoire naturelle de la religion. Traduit de l'anglais de M. David Hume. A Amsterdam, chez Schneider, 1759, in-8, p. 58 et suivantes.

b Le maréchal Daun. Voyez t. XV, p. x, no XIII.