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91. DU MÊME.

Breslau, 18 octobre 1741.



Sire,

Les titres dont il plaît à Votre Majesté de m'honorer n'ont rien qui me touche; l'inspection générale des infirmités humaines révolte l'esprit et le cœur, et ma raison me fait mépriser les autres.

Je n'eus jamais la vanité
De vouloir un orgueilleux titre;
Je n'en fus point, Sire, entêté.
Qu'on mette au-dessus d'une épître :
A Jordan, serviteur de Votre Majesté,
Je ne troquerais pas ce titre respecté
Contre ceux que donne la mitre.

Les titres sont aux gens raisonnables ce que sont les pompons à une femme sensée; ils sont même si peu de chose, qu'ils n'ont pas l'avantage d'orner. Une femme parée, quelque laide qu'elle soit, fixe les regards pour un moment, si l'économie de sa parure est régulière; et on ne saurait par des titres, quelque ronflants qu'ils soient, engager les personnes raisonnables à jeter les yeux sur un homme qui n'a pas d'autre mérite. D'ailleurs,

Je suis fait pour les hôpitaux
Tout aussi peu que pour Cythère;
L'un est le rendez-vous des maux,
L'autre un séjour qui désespère;

Et je ne veux être ni désespéré, ni malade. Le caustique correspondant de V. M. qui me dit amoureux me fait plus d'honneur que je ne mérite.

Je ne suis point, Sire, amoureux,
Je ne le fus qu'une fois en ma vie;
Et je hais de l'amour les feux,
Comme vous la bigoterie.

J'avouerai à V. M. que ma raison a été sur le point d'essuyer un échec par l'amour; mais elle est trop vieille pour être si aisément dupe.

<143>Le puissant, mais sot dieu d'amour,
Qui loge aux yeux de Célimène,
Ne s'est logé chez moi qu'une seule semaine;
Encore est-ce un trop long séjour.

Je ne lui donnais que du grec et du latin à lire; et je lui ai prouvé, par de bons arguments pris de la plus fine métaphysique, qu'il devait s'en aller au diable. Je n'ambitionne pas ses faveurs; j'aimerais mieux celles du dieu des vers pour répondre à cent quarante-deux, marqués au bon coin, qui partent d'une main

Qui fait frémir par son tonnerre
Tous ses orgueilleux ennemis,
Et qui va donner à la terre
La paix que vous avez promis.

Si ce dieu m'était favorable, je ne serais pas aussi embarrassé que je le suis à présent.

Quoi! cent quarante vers auxquels il faut répondre!
C'est m'imposer un fardeau trop pesant.
Mon Pégase est rétif, il trotte en haletant;
Un travail aussi fort ne peut que le morfondre.

Quand je suis monté sur ce poétique animal, il me semble voir Don Quichotte monté sur sa Rossinante.

J'admire la politesse de V. M., qui me nomme le transfuge de la pédanterie. Plût à Dieu que cela fût! C'est un écueil contre lequel tous les gens de lettres vont se heurter. C'est une maladie de l'esprit dont je ne me crois pas exempt. Ma fine galanterie est un être de raison.

Jordan est fait pour la galanterie
Comme l'oiseau de saint Luc pour voler,
Comme le sont vos soldats pour trembler
Devant la cohorte ennemie.

La description de la vie du soldat pendant l'automne est charmante.

Ce qui me paraît étonnant,
C'est qu'au milieu de cette bise
Vous composez à votre guise,
Et vos vers n'ont rien de glaçant

<144>Quand je les lis, ils m'échauffent l'imagination, comme la voix de Farinelli échaufferait celle de Graun. Sans cela, mon esprit est sec et froid; j'ai beau l'exciter, il me manque au besoin.

Qu'il fasse froid, qu'il fasse chaud,
Mon esprit est toujours le même;
Bizarre jusques à l'extrême,
Il n'obéit jamais quand il le faut.

Ma volonté est obligée de faire avec mon esprit ce que fait un homme sage avec sa femme qui est chagrine : il gémit, il prend patience, et se tait.

On assure ici, comme une chose positive, le départ de Neipperg pour la Moravie. Dieu le conduise! Il laisse à V. M. le champ libre; il a raison de le faire, puisqu'il y va de son intérêt, et il fait bien de vous laisser prendre Neisse, puisque la résistance qu'il voudrait faire ne pourrait que lui coûter beaucoup de monde, et sa reine n'en a pas trop.

J'ai l'honneur d'être, etc.