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30. DE M. JORDAN.

Berlin, 31 décembre 1740.



Sire,

Berlin est rempli de la prise de Glogau; les gazettes en parlent; on circonstancie ce fait jusqu'au point de dire que le siége en a duré quatre heures, et que chaque heure a coûté cent hommes qui y ont perdu la vie. Mon barbier, d'un air empressé, me vint annoncer cette nouvelle; le mot de Glogau lui échappe, il se le rappelle ensuite, et, d'une joie vive et impétueuse, il m'annonce que le roi de Prusse a pris le Grand Mogol.

V. M. pourrait-elle croire que, dans le livre de Kotterus, publié il y a très-longtemps, on lui donnait la Silésie et la Moravie? Le partage que cet auteur y fait des États de l'Empereur mérite d'être lu par sa singularité. J'ai eu soin de faire transcrire les passages en question, qui, traduits, ne peuvent que divertir V. M. L'électeur George-Guillaume, frappé, à ce que dit Bayle,a des révélations de ce fanatique, voulut le voir, le fit examiner par les théologiens de Francfort-sur-l'Oder, et il se rendit à Berlin, par ordre de ce prince, en 1625, 1626. L'Électeur eut avec lui divers entretiens.

Le ministre Achard est inquiet sur le sujet de son beau-frère Horguelin, un des plus riches marchands de Breslau, comme V. M. pourra le voir par ce billet, qu'il m'écrit. Je l'ai assuré qu'il devait se tranquilliser, et qu'il n'avait rien à craindre, dans cette circonstance, ni pour son parent, ni pour son bien, qui y est en dépôt.

J'ai vu une lettre de Paris, dans laquelle on dit que la misère y est toujours plus grande.

On embarque ici force canons; ce nouvel envoi donne lieu à bien des réflexions. On va les considérer d'un air d'étonnement; on ne comprend point quel en doit être l'usage, puisqu'on croit déjà la Silésie sous l'autorité de V. M.


a Voyez son Dictionnaire, à l'article Kotterus, qui commence ainsi : « Christophle Kotterus est un des trois fanatiques dont on publia les visions à Amsterdam, en l'année 1657, sous le titre de Lux in tenebris. »