<70>fièvre; des pilules, des poudres, des gouttes, des clystères plaideront si bien pour moi, que vous n'aurez plus besoin de lamentations.

Adieu, Jordan. Je crois que je serai lundi à Charlottenbourg.

18. AU MÊME.

Potsdam, 24 septembre 1740.

Très-respectable inspecteur des pauvres, invalides, orphelins, fous, et des Petites-Maisons, j'ai lu avec une mûre méditation la très-profonde lettre jordanique que je viens de recevoir, et j'ai résolu de faire venir votre savant fourré de grec, syriaque et hébreu. Écris à Voltaire que, quoique je l'aie refusé, je me suis ravisé, et que je voudrais de son petit Fourmont diminutif.a

J'ai vu ce Voltaire,b que j'étais si curieux de connaître; mais je l'ai vu, ayant ma fièvre quarte et l'esprit aussi débandé que le corps affaibli. Enfin avec gens de son espèce il ne faut point être malade; il faut même se porter très-bien, et être mieux qu'à son ordinaire, si l'on peut. Il a l'éloquence de Cicéron, la douceur de Pline, et la sagesse d'Agrippa; il réunit, en un mot, ce qu'il faut rassembler de vertus et de talents de trois des plus grands hommes de l'antiquité. Son esprit travaille sans cesse; chaque goutte d'encre est un trait d'esprit partant de sa plume. Il nous a déclamé Mahomet 1er, tragédie admirable qu'il a faite; il nous a transportés hors de nous-mêmes, et je n'ai pu que l'admirer et me taire. La du Châtelet est bien heureuse de l'avoir; car, des bonnes choses qui lui échappent, une personne qui ne pense point et qui n'a que de la mémoire pourrait en composer un ouvrage


a Étienne Fourmont, mort en 1745, était un des érudits les plus laborieux du commencement du dix-huitième siècle. Frédéric lui compare ici en badinant M. Charles Du Molard, qui lui avait été recommandé par Voltaire. Voyez la lettre de Frédéric à celui-ci, du commencement d'octobre 1740.

b Voyez ci-dessus, p. 48.