<279>

9. AU MÊME.

Remusberg, 10 février 1738.



Mon cher Duhan,

J'ai fait tout ce que vous avez souhaité de moi pour recommander votre frère; il reste à savoir si ma recommandation sera efficace. Je le souhaite pour l'amour de vous et de moi, puisque ce me serait du moins une consolation de vous avoir donné, en quelque manière, des prémices de ma reconnaissance.

Je n'ai pu ni n'ai osé vous répondre sur votre avant-dernière lettre. Tout ce que j'en puis dire, c'est que les vers en sont charmants, qu'ils respirent la liberté, l'enjouement et les grâces. Si vous en faites encore, n'en soyez pas chiche; faites-en parvenir quelque fragment jusqu'à moi; mais servez-vous de l'entremise de ma sœur, et ne hasardez aucune lettre par la poste.

Je suis enseveli parmi les livres plus que jamais. Je cours après le temps que j'ai perdu si inconsidérément dans ma jeunesse, et j'amasse, autant que je le puis, une provision de connaissances et de vérités. Vous ne condamnerez pas, à ce que j'espère, les peines que je me donne; elles sont une suite de la connaissance que j'ai de moi-même. Il faut suppléer à tous les défauts de la nature; il faut prendre l'art à son secours, et puiser jusque dans l'antiquité la plus reculée pour redresser ce qu'on trouve de fautif en soi.

Vous, à qui un naturel heureux épargnerait ce soin, vous l'avez pris indépendamment de ce motif. Les sciences, ainsi que les vertus, vous ont plu par elles-mêmes; vous n'avez eu d'autre but, en les cultivant, que de suivre les impulsions de votre heureux génie. N'oubliez pas, dans vos moments de loisir, que vous avez un élève reconnaissant. Souvenez-vous quelquefois de moi, et ne me privez jamais de l'amitié que vous m'avez vouée si saintement.

Je suis avec tous les sentiments d'estime et de reconnaissance,



Mon cher Duhan,

Votre très-fidèlement affectionné ami,
Federic.