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126. A M. JORDAN.

Chrudim, 5 mai 1742.

Doctissime doctor Jordane, je vous demande des nouvelles de Berlin à cor et à cri, et vous avez la dureté de me les refuser. Je ne reçois de vous que des gazettes du Pinde et les oracles d'Apollon. Vos vers sont charmants; mais je veux des nouvelles. Mandez-moi donc quel temps il fait à Berlin, ce qu'on y fait, ce qu'on y dit; et si toutes les sources sont taries, parlez-moi au moins du cheval de bronze,

Et de cet équestre héros
Que l'on a décoré d'esclaves,
Pour avoir mis dans ses entraves
Les Suédois, les Visigoths.

Entretenez-moi de toutes les bagatelles qu'il vous plaira, pourvu que ce que vous me direz soit relatif à ma patrie; et daignez entrer un peu plus dans les détails.

Vous qui si poliment habillez la satire,
Tenez pour un temps son journal;
Permettez aux absents de badiner et rire
Sur quelque sot original,
Que très-abondamment Berlin peut vous produire.
Marquez-en le trait principal,
Et sachez, lorsqu'on veut plaire en se faisant lire,
Qu'au lieu d'un style doctoral,
Élégant, simple, ou trop égal,
Il faut que la malice, en écrivant, inspire.

Peut-être avez-vous trouvé de cette malice en trop copieuse portion dans la dernière lettre que je vous ai écrite; je vous en fais bien des excuses, en ce cas, quoique vous sachiez bien qu'il ne dépend pas de nous d'être tristes ou gais, et que c'est un effet du tempérament, comme tant d'autres opérations machinales de notre corps. Peut-être croyez-vous qu'il en est autrement de la satire, et que cette drogue se trouve toujours en même abondance chez les personnes qui y inclinent.