<154>tant que nous en pouvons supporter. Je ne saurais vous parler de l'avenir, il est très-incertain; tout ce que j'en sais, c'est que nous avons de la besogne devant nous, et que, assurément, le bâtiment n'est pas encore totalement élevé.

L'orgueil des Autrichiens me paraît le précurseur de leur ruine. Cette ruine nous coûtera, mais elle ne s'ensuivra pas moins. Je crois à présent Berlin le séjour de l'ennui et des femmes. J'imagine qu'il y a de quoi désespérer un honnête homme d'y être, et que ceux qui s'en trouvent éloignés doivent des actions de grâces à la Providence.

Je vis fort philosophiquement, je travaille à l'infini, je m'amuse autant que je le puis, et, du reste, je ne pense qu'à me réjouir. Je t'en souhaite autant de tout mon cœur, et prie Dieu d'avoir le cher Jordan en sa sainte garde.

101. AU MÊME.

Je m'attendais à recevoir à tout moment la nouvelle que cette fluxion qui te lutine t'avait rendu tout à fait aveugle, et j'avais préparé pour ce sujet de fort beaux vers que j'ai été bien mortifié de ne pouvoir t'envoyer. J'aurais tant souhaité que cet aveuglement eût été enfin accompli! Car alors tu n'aurais plus eu de prétexte pour t'absenter d'ici, et ma rivale, ta bibliothèque, te serait devenue aussi inutile qu'une Vénus le pourrait être à un impuissant.

Tu me fais trembler pour cette bonne Europe par la comète que tu prophétises. Je voudrais que le prophète et le phénomène fussent tous les deux au diable, plutôt que de voir notre aimable petit globe servir de nourriture à la voracité ennemie de ce brigand d'astre. Écoute, docte et sublime Jordan, je t'avertis que si désormais tu pronostiques encore des choses funestes et malheureuses, et surtout des calamités publiques, ton nom sera rayé du nom des grands hommes, ton âme errante sera aveugle dans