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XI. LETTRES DE FRÉDÉRIC A M. ELLER. (3, 13 ET 25 MAI 1740.)[Titelblatt]

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1. A M. ELLER.

Ruppin, 3 mai 1740.

Mon cher Eller, je vous suis obligé des nouvelles que vous me donnez de la santé du Roi, quoique mortifié en même temps qu'elles ne sont pas meilleures. Je me flatte encore que cette attaque-ci passera de même que les précédentes. C'est, selon toutes les apparences, quelque nouvelle vomique qui vient de crever, et qui causera beaucoup d'incommodités avant qu'elle soit purifiée par l'expectoration. J'espère que vous ne changez pas encore de pronostic, car j'avais fait fond de passer ici tranquillement et en pleine liberté cinq ou six semaines, et, tant par rapport au Roi que par rapport à moi-même, je serais bien fâché de voir mon plan dérangé. Si cependant vous trouvez, contre notre espérance, que les accidents empirent, vous aurez la bonté de m'en avertir, afin que je puisse prendre des arrangements convenables aux conjonctures, et je me repose entièrement sur votre habileté et sur vos soins. Soyez persuadé d'ailleurs que je vous estime et considère. Adieu.

Federic.

2. AU MÊME.

Ruppin, 13 mai 1740.

Mon cher Eller, je vous suis fort obligé du status morbi que vous m'avez fait de la santé du Roi. Il paraît que cette maladie fait un cercle continuel d'accidents fâcheux et de soulagements. Ce qui est sûr, c'est que le mal est aussi extraordinaire que le malade, et qu'il faudrait, je crois, un médecin tout aussi extraordinaire pour opérer une restitution complète. Je vous prie de <184>m'avertir de temps en temps de ce qui se passe, afin qu'à tout événement je puisse prendre mes mesures. Quand croyez-vous que je pourrai prendre le petit-lait? et quand pourrai-je prendre les eaux de Pyrmont? J'attends là-dessus vos oracles, dont ma pauvre rate et M. mon foie ont bien besoin. Adieu, mon cher Eller; soyez sûr de l'estime que j'ai pour vous.

Federic.

3. AU MÊME.

(Rheinsberg) 25 mai 1740.

Mon cher Eller, je vous suis obligé infiniment des nouvelles que vous me communiquez; mais je me flatte que, sans abdication200-a et sans tant de vastes projets, on prendra tranquillement la résolution de vivre et de se porter bien, en quoi on fera une action très-louable. Tout ce que l'on peut dire sur le sujet de la grande maladie n'est, ma foi, qu'un radotage, et je parierais bien avec qui voudra que MM. les Hippocrates se sont trompés aux symptômes.201-a Dites-moi, je vous prie, si nous aurons revue, ou si nous n'en aurons point. Ensuite, comme la saison se met au beau, et que dans quelques jours je pourrai commencer à boire le petit-lait, je vous prie de m'écrire la diète qu'il faut tenir, si je puis boire de la tisane de citron, ou si elle peut me faire du mal, et de m'envoyer en même temps la recette des herbes qu'il faut prendre en même temps. Je vous prie de ne le point oublier, car ma santé est un point auquel je vous avoue que je suis fort sensible. Soyez d'ailleurs persuadé de l'estime parfaite avec laquelle je suis, etc.

Federic.


200-a Le roi Frédéric-Guillaume avait souvent pensé à abdiquer. Voyez Morgenstern Ueber Friedrich Wilhelm I, p. 86, 223 et suiv. : voyez aussi les Lettres familières et autres, par le baron de Bielfeld. A la Haye. 1763, t. I, p. 116.

201-a Dans la nuit du 26 au 27, le Prince royal reçut de si mauvaises nouvelles, qu'il partit immédiatement pour Potsdam, où le Roi mourut le 31.