2. AU MÊME.

Rheinsberg, 8 juin 1736.



Monseigneur

Si quelqu'un fut jamais surpris, c'était moi à la lecture de votre lettre, où, par un hasard inopiné, je me vis érigé en censeur et en critique. Jamais, monsieur, je n'ai eu l'ambition de l'être; et si pareille pensée me fût venue, la connaissance que j'ai de l'infériorité de mes forces l'aurait bientôt supprimée.

Un censeur et un critique judicieux doit être un homme qui à beaucoup de bon sens et de lumières joigne une érudition complète, et qui, distinguant parfaitement le vrai du faux, le meilleur du bon, et la véritable valeur des choses du brillant éblouissant d'un clinquant fastueux, ne sache pas seulement corriger des fautes et relever des défauts; mais principalement il est de l'essence d'un bon critique qu'il sache enseigner le véritable chemin à ceux qui l'ont manqué, et c'est ce que j'ignore; non pas que je pense en aucune manière que vous ayez besoin d'être critiqué et redressé; en cela je distingue très-bien votre modestie, qualité qui vous attirera dans tous les siècles et de tous les êtres pensants une approbation générale; c'est elle qui vous fait dire que vous en avez besoin. Il est d'une grande âme de reconnaître que l'on <116>peut faillir, et se croire parfait est le superlatif de la folie. Mais, d'un autre côté, un excès de modestie peut dégénérer en timidité, et c'est un venin contre lequel je crois devoir vous donner l'antidote. Si le suffrage de personnes d'un certain caractère peut vous en préserver, vous pouvez entièrement compter sur le mien, ayant dès mes jeunes ans eu un penchant insurmontable pour le bon et pour le beau, qui m'a déterminé en votre faveur dès les premiers discours que je vous ai entendu prononcer. Je suis dans les mêmes sentiments où j'étais alors, et je ne crois pas avoir eu lieu d'en changer. Mais si le dernier sermon que je vous ai entendu prononcer n'était pas de la force des précédents, vous m'en donnez de très-bonnes raisons; et j'avoue que je connais par moi-même que l'esprit de l'homme n'est pas toujours dans une égale assiette. Parvenu au point où vous êtes, il est impossible d'entasser merveilles sur merveilles.

Mais, puisque vous me parlez si franchement dans votre lettre, je croirais pécher contre les lois de la sincérité, si je ne vous disais pas naturellement mon sentiment. J'avoue qu'il y avait une conclusion dans votre sermon que je n'ai pas bien comprise, et qui, je crois, aurait besoin de commentaire pour la rendre claire et nette. Vous parliez du fanatisme qui aurait pu déterminer les apôtres à adhérer à la mission du Sauveur; et, si je ne me trompe, vous vous serviez de cette expression : « Qui dit que les apôtres ont été des fanatiques est fanatique lui-même. » L'autorité que vous donnait la chaire vous faisait prononcer ces paroles avec assez de hardiesse, et votre troupeau, qui vous en croit sur votre foi, ne demandait pas d'autre raison; mais, sur les bancs, je crois que cela ne conclurait rien, à mon avis.

Vous me demandez matière pour deux sermons que vous voulez en ma faveur travailler et prononcer en ma présence. Je vous en suis infiniment obligé; et comme j'aime à faire tendre toutes les choses extérieures à un certain but dont je tire avantage, je vous prierai de prêcher premièrement sur ce texte : « Ces paroles nous ont été données de Dieu, »125-a pas davantage, et d'établir la possibilité, les caractères et la vérité de la révélation; et le second sur ces paroles : « La croix de Christ est en horreur <117>chez les juifs, et ridicule aux païens, »125-b et de prouver premièrement la nécessité de sa mission, la vérité des oracles qui l'ont annoncée, et, si l'on ose parler ainsi, la raison qui a déterminé le conseil de Dieu à choisir ce genre de rédemption préférablement à un autre, et, pour votre troupeau, l'application des devoirs qui suivent de la foi en Christ.

J'avoue, monsieur, que j'attends une grande édification des peines que vous vous donnerez, car j'ai le malheur d'avoir la foi très-faible, et il me la faut étayer souvent par de bonnes raisons et des arguments solides. Vous ajouterez une obligation à celles que je vous ai déjà des soins que vous vous êtes donnés pour prouver l'existence et l'immortalité de l'âme, et j'en serai, s'il se peut, avec plus d'estime,



Monseigneur

Votre très-affectionné
Frederic.


125-a II Timothée, chap. III, v. 16.

125-b I Corinthiens, chap. I, v. 23.