<78>peut voir à présent, et rien ne me fait plus changer; pourvu qu'il me croie honnête homme, je suis content, et j'espère soutenir ce caractère jusqu'à ma mort. J'en connais les difficultés, mais la religion et l'honneur les savent vaincre. Enfin, mon cher ami, je me mets au-dessus de l'opinion du monde, et je préfère la réalité de l'honnête homme à l'idée ou à la présomption de la multitude; et pour mon caractère sans gène et enclin aux plaisirs, il me porte plutôt à être honnête homme qu'un tempérament atrabilaire.

Wolden a été chargé de ma sœur de Baireuth de me prier de vous écrire, et c'est cela qui lui a fait soupçonner ce que ma lettre pourrait contenir. Je me garderai bien de confier rien à lui, qui est babillard et imprudent au suprême degré. Je ne m'étonne point que le roi de Pologne baisse; il a tant été, qu'il peut bien une fois cesser d'être. C'est bien le prince de toute l'Europe le plus faux, et pour lequel j'ai le plus d'aversion; il n'a ni honneur ni foi, et la supercherie est son unique loi; son intérêt et la division des autres est son étude. Je l'ai appris au camp de Radewitz,a et il m'a fait des tours que je n'oublierai de ma vie. Mais je n'ai été dupé de lui qu'une seule fois; bien fou si jamais il m'y rattrape.

J'avoue que je ne sens pas une grande impatience pour le voyage à Brunswic, sachant déjà d'avance tout ce que ma muette me dira. C'est pourtant sa meilleure qualité, et je tombe d'accord avec vous qu'une sotte bête de femme est une bénédiction du ciel. Enfin je jouerai la comédie de Brunswic qu'il n'y manquera rien, et il signer Brighetta tiendra des propos amoureux avec la bella Angelica; mais je crains fort que je ne sois obligé de faire le complet de répondre pour elle. Je souhaite de tout mon cœur que votre chute, mon très-cher ami, ne soit d'aucune suite dangereuse, et que le ciel nous conserve longtemps votre vie, afin que j'aie d'autant plus d'occasions de vous prouver que je suis très-sincèrement et avec beaucoup d'estime et de considération, etc.

Frederic.


a Voyez t. I, p. 184.