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41. DE M. DE SUHM. (no 1.)a

Lübben, 28 décembre 1736.



Monseigneur

Je pars cette nuit pour Pétersbourg, et quitte une retraite dont le seul agrément pour moi fut de me trouver à portée de recevoir sans gêne les témoignages flatteurs de vos bontés et de votre amitié, et de pouvoir m'occuper sans cesse du meilleur prince du monde, en travaillant à lui préparer un petit bout du chemin qui devait le conduire au temple de la Philosophie.

Hélas! tout prend fin dans ce monde. Mais, pourvu que V. A. R. daigne me conserver sa bienveillance jusqu'à la fin de ma vie, la durée d'aucune chose ne m'inquiétera. Tranquille, j'attendrai avec une constance philosophique que, un certain nombre d'événements s'étant succédé et ayant rempli leur temps, il en vienne d'autres dont vous serez le moteur et la cause. Que j'en prévois alors de grands et de mémorables! et combien de plaisir ne prends-je pas déjà à me les représenter!

Oserai-je vous dire, monseigneur, sans crainte de blesser votre trop délicate modestie, ce qui soutient aujourd'hui mon courage et mes espérances, ce qui affermit ma tranquillité et ma satisfaction? C'est la connaissance que je me flatte d'avoir de la constance de vos sentiments et de l'usage admirable que vous savez faire de votre raison pour vous rendre intérieurement heureux vous-même, en attendant que vous puissiez faire un jour le bonheur de tant d'autres hommes, au nombre desquels j'espère venir me ranger quand il en sera temps. S'il suffisait, pour ma félicité, de jouir des faveurs du plus grand et du plus aimable de tous les princes, et d'oser en espérer la constance, même dans le plus grand éloignement de lui, je devrais sans doute être aujourd'hui parfaitement heureux. Mais comme une condition essentielle de mon bonheur sera toujours d'être aussi assuré de celui de V. A. R., il fallait encore une considération telle que celle sur laquelle je


a La lettre 42, p. 339, donne l'explication de l'emploi de ce numéro et des suivants.