<90>pour ruiner la puissance prussienne, il faudrait le porter avec patience. Un des grands avantages que nous avons sur les autres puissances de l'Europe consiste en ce que la sagesse de notre ministère suit constamment le même système, et que ce qui ne réussit pas d'abord, le temps l'amène à maturité. Voilà, mon cher ami, ce qui m'oblige à ne désespérer de rien. Eh quoi! lorsque tous nos alliés se mettent en mouvement, que nos armées agissent pour exécuter le plus beau projet de campagne qui ait jamais été imaginé, que notre supériorité et la grande habileté de nos généraux nous promettent les plus grands avantages, quoi! dans un temps où tout conspire à notre gloire, vous trouvez étrange que la diète s'explique avec dignité, vous ne voulez pas qu'elle lance ses foudres sur des rebelles? Il n'est que trop déplorable que l'événement nous ait trompés, sans quoi l'on aurait vu paraître les décrets pour mettre deux rois et leurs adhérents au ban de l'Empire. Quel beau jour pour Vienne n'aurait-ce pas été! Et que restait-il après cela pour relever la grandeur, la gloire et la puissance de notre incomparable maîtresse? En voilà assez pour justifier notre conduite vis-à-vis du roi de Prusse; j'espère de lever plus facilement encore les scrupules que vous avez sur notre alliance avec la cour de France.

Vous êtes frappé de ce que la France, qui, dans la guerre qu'elle faisait à l'Angleterre, avait résolu de faire tous ses efforts sur mer, change si subitement de conduite, et se mêle, contre ses intérêts, d'une guerre de terre qui ne regardait proprement que la maison impériale. Concluez de là que ces gens n'ont ni système, ni conduite suivie, et que toutes leurs actions se ressentent de leur inconséquence; concluez de là que l'habileté et la conduite du comte de Kaunitz ne sauraient assez s'admirer. Le comte a soutenu de tout temps qu'en prenant les Français par leur vanité, c'était le moyen de les mener comme on voudrait. Aussi, au commencement de cette guerre, a-t-il fait le suppliant. La reine de Hongrie n'était pas en état par ses propres forces de se soutenir contre le roi de Prusse; elle mettait toute sa confiance dans les secours et dans la bonne foi du Roi Très-Chrétien, avouant que ce serait à lui seul qu'elle devrait sa conservation : voilà le langage que nous tînmes à Versailles. Le comte Kaunitz a eu toutes les complai-