<85>public ne forme plus qu'une voix pour célébrer tant d'augustes et grandes qualités. Si j'ai à me plaindre de ma destinée, c'est de ce qu'elle m'a interdit jusqu'ici le bonheur de vous faire ma cour, avantage que je préférerais à toutes les faveurs de la fortune, et auquel je suis bien éloignée de renoncer. Mais, madame, souffrez que je vous ouvre mon cœur avec cette franchise que vous avez autorisée et enhardie par vos bontés. Si jamais je trouve l'occasion de satisfaire au plus ardent de mes vœux, si jamais le moment se rencontre où je pourrai me mettre à vos pieds, voudriez-vous, madame, que j'approchasse en tremblant de cette incomparable princesse que je respecte, et qui m'honore du nom de sa bonne amie? Et cependant, madame, je ne pourrais me présenter devant vous qu'en sentant mon cœur frissonner. Vienne doit être un séjour que votre présence rend délicieux; il n'y a qu'un point critique qui me glace d'effroi. Vous avez assez d'éminentes qualités pour en couvrir un petit défaut; vous êtes si supérieure au reste de votre sexe, que je ne crains pas de vous reprocher quelques effets de légères faiblesses qui sont incompatibles avec mon séjour dans vos États. Vous devinez vous-même, madame, que c'est de cet affreux collége dont je m'effraye, de cette inquisition qui établit un despotisme tyrannique sur le cœur et les sentiments. Daignez, de grâce, le supprimer, madame, abolissez le plus dur de tous les tribunaux, et ajoutez au nombre de vos grandes vertus la tolérance pour la plus aimable de toutes les faiblesses humaines. N'exigez pas des fragiles mortels des perfections dont les mains de la nature, avares pour le vulgaire, ont été prodigues envers vous. Souffrez que, dans votre capitale, le goût, et non les sacrements de la sainte Église romaine, décide de l'amour. Permettez qu'on puisse avoir impunément un cœur tendre et sensible, sans qu'on coure le risque d'affronts toujours très-fâcheux, ou de votre disgrâce, pire encore que le reste. Croyez-vous, madame, qu'en allant à Vienne simplement pour me mettre à vos pieds, je voulusse hasarder de passer delà pour entreprendre le voyage de Témeswar? Que Vénus m'en préserve à jamais! Je ne veux point aller en Hongrie. Quelle horreur pour une Française née sans ces préjugés de l'austère et farouche pudeur! Je ne veux que vous voir, vous entendre et vous admirer.