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LETTRE AU PUBLIC.

J'ai toujours aimé vos goûts, et j'ai respecté vos fantaisies; je connais l'insatiable curiosité que vous avez des nouvelles, et j'ambitionne de vous servir. Vous êtes ennuyé de ces faits ordinaires que vous racontent deux fois par semaine ces petits ministres que vous entretenez en Europe; il vous faut du singulier et des nouvelles surprenantes. Vos ministres vous en donnent quelquefois d'incroyables, quoique sans doute véritables; mais cela ne suffit pas; vous aimez dans la politique les choses secrètes. Ce même penchant se trouve en moi, avec un grand fonds d'adresse pour les découvrir, ce qui me met à portée de vous instruire de ce qui se traite à présent de plus caché dans une certaine cour. Vous comprenez, sans que je vous l'explique, que, dans notre jargon, certaine cour signifie celle de Berlin. Je tiens ces nouvelles de la première main; ce ne sont point des on dit, ce sont des faits bien constatés. J'ai découvert des choses étonnantes; je vous les confie d'autant plus volontiers, que votre sagesse et votre discrétion m'est connue, et que ce secret restera entre nous deux.

Tremblez pour le repos de l'Europe; nous touchons à un événement qui peut renverser l'équilibre et la balance des pouvoirs que nos pères ont si sagement établis. C'en est fait du système de l'abbé de Saint-Pierre;a jamais on ne pourra le réaliser. J'ai appris qu'il s'est tenu, il y a quelques jours, un grand conseil à la cour, où ont assisté tous les notables; il s'y est agité une chose aussi importante qu'on en ait connu de mémoire


a Voyez t. IX, p. 36, et t. XIV, p. 323.