<30>pareille que quiconque après sa mort ne voulait devenir ni coq d'Inde ni cheval de poste devait passer la tête, les bras et les pieds dans une espèce de gêne de bois qui contractait tous les membres du patient. Le peuple lui obéissait stupidement. Je vis une cinquantaine de derrières cloués, et un nombre infini d'auditeurs qui courbaient leur corps sous le joug que ce charlatan leur avait imposé. Un plat bouffon qui l'accompagnait se faisait baiser par les femmes un membre destiné à un tout autre usage, et la masse hébétée du vulgaire applaudissait stupidement à toutes ces platitudes dégoûtantes.

Je ne finirais jamais, si je voulais décrire le nombre de fripons et de scélérats qui gagnaient leur vie en abusant de la crédulité du peuple; suffit qu'ils convenaient tous à s'entre-haïr et décrier réciproquement, et à débiter des absurdités pareilles à Peau-d'âne et à Barbe-bleue. Dans cette grande foule de dupes je rencontrai quelques têtes pensantes, qui n'étaient là que dans l'intention d'observer jusqu'à quel point peut aller la folie des hommes; je les abordai, et leur demandai ce qu'ils pensaient de tout ceci. Hélas! monsieur, me dit l'un, nous prenons en pitié la pauvre espèce humaine, chez qui le sens commun n'est pas aussi commun qu'on le pense. Cette multitude de dupes produit des fripons; nous nous contentons de n'être du nombre ni des uns ni des autres, et de ne jamais acquiescer à ce que notre raison réprouve. Ceci me donna envie de m'adresser aux enthousiastes du charlatanisme, pour m'instruire de leur façon de penser; j'en tirai tout de suite un à part, et lui demandai s'il connaissait quelques personnes guéries par les drogues de ces empiriques? Non, repartit-il; leur vertu n'opère qu'après quatre-vingts ans, cent ans, ou plusieurs siècles écoulés. Sa bêtise me fit monter le feu au visage. Allez, lui dis-je, vous méritez d'être trompé, puisque vous voulez l'être; si vous faisiez usage de votre raison, il n'y aurait plus de charlatans au monde.

J'étais en train de poursuivre; mais mon sang était entré dans une telle agitation, que je me réveillai en sursaut. Je ne savais si toutes ces imaginations étaient des illusions ou des vérités. A force de me frotter les yeux, le sommeil se dissipa entièrement, et je conçus que j'avais fait un mauvais rêve; mais je n'eus