« <167>les secours de l'enfer pourront vous être utiles. Belzébuth vous accordera la victoire; mais ce grand diable ressemble aux financiers et aux filles de l'Opéra, il ne fait rien pour rien. Il faut donc, selon l'usage ordinaire, faire un pacte avec lui, par lequel vous lui donnerez votre corps et votre âme après votre mort. Vous savez, Sire, que l'illustre maréchal de Luxembourg ne dut toutes les grandes victoires qu'il remporta qu'à un semblable pacte, et qu'on lui fit son procès, comme sorcier, au milieu de la brillante cour de Louis XIV et dans ce siècle si vanté et si philosophique. Pourquoi craindriez-vous donc d'imiter ce grand homme? »

Le roi de Prusse, frappé de la proposition de ce magicien, et conservant cette peur qu'il a toujours eue naturellement du diable, ne put se résoudre à faire le pacte dont on lui parlait; il répondit que s'il n'y avait, pour vaincre, d'autres moyens que d'aller à l'enfer, ce moyen lui paraissait plus difficile et même plus impossible que ceux dont il s'était servi jusqu'alors pour battre tant de fois ses ennemis. Eh bien, répliqua le dangereux philosophe, vous pouvez encore tirer parti de Belzébuth, en lui donnant vingt personnes dont vous êtes le maître. - Distinguons, repartit le Roi : si par ceux dont je suis le maître vous entendez mes sujets, je me suis toujours efforcé de les traiter comme un père traite ses enfants, et certainement je n'en donnerai jamais aucun au diable; mais si Belzébuth veut se contenter de quelques moines étrangers qui sont dans mes États, je lui donnerai vingt jésuites de la Silésie, qu'il pourra mettre, dans l'autre monde, à côté de Jean Châtel, de Guignard,a de Malagridaa et des autres jésuites assassins des rois. - Cela est fort bon, dit le philosophe; pourvu que les sujets de l'enfer s'augmentent, de quelque façon que ce soit, Belzébuth est toujours content. Alors ce sorcier récita le commencement du chapitre de Locke contre les idées


a Le jésuite Jean Guignard fut pendu comme complice de l'attentat commis par Jean Châtel sur la personne de Henri IV le 27 décembre 1594.
     Quant au P. Gabriel Malagrida, voyez t. IV, p. 254, t. XIV, p. 222, et ci-dessus, p. 164. Voyez aussi l'ouvrage de M. d'Olfers intitulé : Ueber den Mordversuch gegen den König Joseph von Portugal am 3. September 1758. Berlin, 1839, in-4, p. 35-39.