<120>notre armée; jugez de l'effet que feront de là leurs bouches à feu. On fait de notre côté tous les préparatifs usités pour une défense vigoureuse : le soldat joue la comédie, l'officier s'amuse; sans doute que l'on pensera bientôt à faire des fascines et des gabions. Un Génois, homme intelligent et adroit, s'est engagé de pousser nos mines sous les batteries des ennemis, pour faire sauter tous leurs canons en même temps; il espère que par sa diligence il mettra ses mines en état d'être chargées au mois de décembre de l'année 1760. Cela serait suffisant; car, selon le calcul ordinaire des siéges, en adoptant les savantes supputations du célèbre Vauban, si les Autrichiens travaillent à sape volante, ils ne pourront être au pied de notre glacis qu'au mois de mars 1761; s'ils cheminent à sape couverte, leur ouvrage traînera jusqu'au mois de septembre de la même année. Outre les soldats que le comte Daun emploie, il y a journellement quinze cents paysans qui travaillent à perfectionner sa première parallèle.

Voilà tout ce que je puis vous dire; les commencements des siéges, d'ordinaire, sont stériles; mais donnez-vous patience, monsieur, vous ne perdrez rien à attendre. Vous aimez les choses singulières, il est juste que je vous serve selon votre goût; je vous en promets de très-extraordinaires. L'art de la guerre est parvenu à son point de perfection; on a perfectionné les canons, les montagnes et tout, en un mot, des mulets jusqu'aux pandours. Si les Turenne, les Montécuculi, les Eugène, s'avisaient de ressusciter de nos jours, ils passeraient à peine pour de vieux radoteurs. Quelques gens difficiles, les amateurs entêtés de l'antiquité, des esprits obstinés à soutenir leurs sentiments, n'en conviendront peut-être pas; mais c'est de quoi il ne faut pas s'embarrasser. La nouveauté fait le mérite des modes; pourquoi ne ferait-elle pas également la réputation des gens de guerre?

Souffrez, monsieur, que je vous quitte pour me rendre à mon devoir; je suis de jour aujourd'hui auprès du grand tube à réflexion pour observer les travaux des ennemis. On prendrait à présent notre camp pour un observatoire; Mars et Vénus ne sont pas plus lorgnés par les astronomes que le camp autrichien ne l'est par nos officiers; il ne se passe pas de jour sans qu'il y ait deux cents lunettes de braquées contre Marklissa et Lauban. Heureux