<162>

XXXVI. VERS D'UN POËTE NATIF DE FAILLENBOSTEL188-a SUR L'INVASION DES FRANÇAIS DANS L'ÉLECTORAT DE HANOVRE, EN 1757, EN JÉRÉMIADE SUR LE TRAITÉ DE KLOSTER-ZEVEN.

O sujet accablant de ma sensible plainte!
On profane la terre sainte.
Des loups ont pénétré dans le sacré bercail;
Leurs sanguinaires dents dévorent le bétail,
Qui, bêlant et transi de crainte,
Des barbares tyrans des bois
A senti la cruelle atteinte.
Nos jours sont abreuvés d'amertume et d'absinthe;
Je languis dans les fers, je gémis sous les lois
De nos usurpateurs gaulois;
D'un esclavage affreux détestant la contrainte,
J'ose à peine élever ma trop craintive voix.
O mon roi! mon Nestor! faut-il que ta paupière
Demeure aussi longtemps ouverte à la lumière
Pour voir, sur le déclin de tes exploits brillants,
<163>Lorsque tu vas toucher au bout de ta carrière,
L'orgueil des Français insolents
T'attaquer en rang de bannière,
Et, plus déterminés encor que les Titans,
Affronter du Wéser la puissante barrière?
Hanovre, triste objet de ma vive douleur,
Jadis objet de la terreur
De ces Français que je déteste,
Hélas! par quel destin funeste
Es-tu livrée à leur fureur?
Tout le peuple éploré crie : O cité céleste!
Ta gloire est donc passée à ton usurpateur!
Expions nos péchés sous le sac et la cendre;
Les rochers les plus durs à Goslar vont se fendre
Au récit inouï d'un si cruel malheur.
Des badauds indiscrets, des ravisseurs, des pestes
Portent dans le sein de nos murs
La profanation de leurs désirs impurs,
Et le viol, et les incestes.
Maîtresses de nos rois, beautés toujours modestes,
Hélas! quel dangereux écueil
Pour les prudes vertus que vous fîtes paraître!
Languissantes dans un fauteuil,
Entre les bras des petits-maîtres,
Je vois rougir vos fronts et pâlir votre orgueil
Des monstres qui de vous vont naître.
Et toi, Stade, l'asile où notre Salomon189-a
Plaça son tabernacle et son sacré Mammon,
Hélas! mes tristes yeux verront-ils tes guinées
Par des brigands français à Paris amenées,
Au successeur de Pharamond,
Et par la Pompadour peut-être profanées?
Lève-toi, Cumberland, et venge notre affront;
De ton père saisis la foudre,
Tonne, frappe et réduis en poudre
Ce d'Estrée, ennemi de ton illustre nom.
<164>Münchhausen et Steinberg,190-a enfants de la victoire,
T'excitent à venger l'honneur de ta maison;
De l'un deux saisis la mâchoire.
Et, tel qu'on nous dépeint Samson,
Frappe les Philistins, et rétablis ta gloire,
Que te ravit un rodomont.
Extermine, détruis .... Mais non,
L'Eternel hait la violence;
Il sait fortifier la faiblesse et l'enfance,
Et confond à son gré la superbe raison.
Sa sagesse immense et profonde
T'ordonne d'épargner le plus beau sang du monde,
Le sang hanovrien, en héros si fécond.
L'Elbe allait t'engloutir dans le fond de son onde,
Cumberland périssait, ainsi que Pharaon;
L'insolent ennemi de ma triste patrie
Vainement écumait de rage et de furie,
Et jurait d'abîmer Cumberland dans les mers.
Ta main signa deux mots; ô prodige! ô magie!
La discorde paraît replongée aux enfers;
Et ce fier Richelieu, prôné par tant de vers,191-a
Tout à coup tombe en léthargie.
Tel le céleste agent du Dieu de l'univers,
Perçant d'un vol hardi l'immensité des airs,
Maître des éléments, souverain d'Amphitrite,
D'un mot calme les flots, et d'un mot les irrite :
Tel parut Cumberland, cet invincible duc,
Qui, sentant ses guerriers maladroits à la nage,
Par ce fameux traité leur sauva le naufrage.
Ah! si de Jérémie ou du divin Baruc
<165>Je pouvais entonner les sublimes cantiques,
Je publierais sa gloire et ses faits héroïques
De Buxtehude à Copenbruc.191-b
Je vous le montrerais brillant dans sa carrière,
Toujours manœuvrant en arrière,
Évitant avec soin surtout de se noyer;
Dans le tumulte militaire,
Toujours doux, clément, débonnaire,
Homicide ne fut, quoique excellent guerrier.
Je pourrais encor publier
Qu'il nous vit tous ronger des Français comme un chancre,
Aimant mieux, du haut faîte où l'élevait son rang,
Répandre en beaux traités tout un déluge d'encre
Que de verser pour nous une goutte de sang.

Fait à Rothe, le 4 d'octobre 1757.


188-a Probablement Fallingbostel, dans la principauté de Lünebourg.

189-a Le duc de Cumberland.

190-a Cet éloge ironique est une satire de la mollesse avec laquelle ces deux ministres d'État hanovriens avaient pourvu à la défense de leur pays, au mois de décembre 1756. Voyez t. IV, p. 120-122; voyez aussi Lebensgeschichte des Grafen von Schmettau, Königl. Preuss. General-lieutenants, etc. Berlin, 1806, t. II, p. 320-334.

191-a Le Roi fait ici allusion aux Épîtres et autres poésies adressées par Voltaire au duc de Richelieu. Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XIII, p. 169, 182, 196, 216, 218 et suivantes.

191-b Koppenbrügge.