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XXXIV. LE FAUX PRONOSTIC, CONTE.178-a

Un médecin, grand charlatan,
Toujours prompt en son pronostique
Et profond en diagnostique,
Franc revendeur d'orviétan,
Qui, par salutaire pratique,
Envoya mainte âme angélique
Aux pays de seigneur Satan,
Ce docte, plein de son mérite,
Croyait que, par sa voix proscrite,
La maladie, à son aspect,
Soumise et pleine de respect,
Par ses drogues prenait la fuite,
Comme devant le chat vainqueur
La fine souris se retire,
Quittant jambons pleins de saveur
Et gros parmesan dont l'odeur
Réveille sa faim et l'attire.
<154>Chez un grand seigneur alité
Notre esculape consulté
Vient, voit, tâte le pouls, raisonne,
Sur ses maux cent fois le questionne;
Puis en belle latinité,
En grec que n'entendit personne,
Même discours fut répété.
D'un air rêveur, d'un ton d'oracle,
Clystères furent ordonnés,
Spécifiques assaisonnés
De tout ce qu'en son réceptacle
De remèdes plus raffinés
Trouve ce faiseur de miracle.
Un curieux de l'avenir,
Héritier à l'âme friande,
Impatient de parvenir
A succession bonne et grande,
Au docte doucement demande
Si l'oncle peut en revenir.
- En revenir? Moi, je commande
Qu'à l'instant même il doit guérir;
Pilules, poudres par douzaines,
Potions, gouttes par centaines,
Ressusciteront ton parent;
C'est la vertu de mon onguent.
Mais pendant que l'homme propose,
Le ciel différemment dispose.
Le séné, trop fort, trop actif,
A renforcé la maladie
De la pesante léthargie,
Du catarrhe suffocatif.
Bref, le malade à l'autre monde
Décampe, quoiqu'on le seconde,
Et notre esculape éperdu,
En voyant son art confondu,
De chagrin, de douleur profonde,
<155>D'abord par la fièvre étendu,
Chez les ombres est descendu.
Si pour une égale ignorance
Tout médecin voulait périr,
Chaque jour on verrait, je pense,
Des médecins prêts à mourir.

27 mars 1740.


178-a Frédéric dit dans sa lettre à Camas, du 27 mars 1740 : « Je vous envoie un conte bien fou. .... L'histoire du flegmatique Superville a donné lieu à ces vers. »