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ALLÉGORIE.246-a

Deux voyageurs jeunes et curieux
De l'Orient parcouraient divers lieux.
On leur apprend qu'une grotte enchantée,
Depuis longtemps des peuples respectée,
Se trouvait là. Pleins d'admiration,
Ils vont la voir, mais sous condition;
Car mon lecteur saura qu'en la caverne
Nul curieux n'osait porter lanterne;
Sombre en était le ténébreux séjour,
Et l'enchanteur surtout craignait le jour;
Jamais lueur n'en éclaira l'interne.
S'il avenait que quelque impertinent
Osât léser cette règle absolue,
Aveugle était, d'abord perdait la vue.
On en faisait plus d'un conte étonnant,
Propre à tourner une tête innocente;
Car rien ne gagne aussi vite à l'instant
Que la terreur d'une sainte épouvante.
Nos étrangers vont, selon ce traité,
Sans éclairer leur démarche tremblante,
Dans l'antre sourd braver l'obscurité.
<215>Mais que ne peut la curiosité?
Tout en entrant, l'un dit à son confrère :
« Ceci sent l'art d'un grand magicien;
Que de beautés cette caverne enserre!
J'aime le grand et l'extraordinaire.
Vois-tu ce jaspe, et remarques-tu bien
Ces chapiteaux au-dessus des colonnes?
Ah! quels trésors! c'est de l'or le plus fin.
Cette corniche à palmes et couronnes,
Quel bon ouvrage et quel riche dessin! »
Son compagnon considère, examine,
Le préjugé lui troublait le cerveau;
Ce n'est pas là, direz-vous, du nouveau;
Il pense voir tout ce qu'il examine.
Après qu'en soi longuement il rumine :
« Ces chapiteaux, dit-il, ne sont point d'or,
Mais bien d'argent; ces colonnes encor
Sont de lapis, et ces grandes statues,
Tout alentour dans ces niches reçues,
Sont du plus clair et transparent cristal. »
- « Oh! tu rêves, dit l'autre, ou tu vois mal;
De l'argent là sont visions cornues. »
Le partisan de l'argent, très-brutal,
Soutient sa cause, en gros mots se querelle;
L'entêtement, la colère s'en mêle,
On jure, on peste, on veut avoir raison,
Et le bon sens n'était plus de saison.
Tout en criant, on regagne la rue;
Du peuple sot l'imbécile cohue
Accourt, s'attroupe, et bientôt, disputant,
Entre les deux champions se partage;
Tel est pour l'or, un autre pour l'argent.
Parmi ces fous il se rencontre un sage;
Ce n'est pas trop de ce inonde l'usage,
Mais il y fut; de vous dire comment,
Mon chroniqueur n'en rend point témoignage.
Il soupira de la mystique rage
<216>Qui s'emparait des esprits échauffés,
Car ils étaient pareils aux fous fieffés.
Bien informé du point de la dispute,
Le sage veut lui-même examiner
D'enchantement ce qu'on vient de prôner.
Sans dire mot, il part, il exécute
Tout doucement l'entreprise, sans bruit;
Sous son manteau il cache une lanterne,
Il voit la grotte, il entre, il y discerne
Tout aussi loin que sa lumière luit,
Ne trouve point colonnes ni statues,
Chapiteaux d'or, les beautés aperçues.
« Je vois, dit-il, des roches toutes nues,
Ouvrage brut où rien ne ressent l'art,
Tel que partout la grossière nature
En a produit comme il plaît au hasard.
Sublime objet de fraude et d'imposture,
O grotte! il faut que tu restes obscure;
Tu n'as de prix que par l'illusion. »
Vers son logis il reprit son allure;
Point aveuglé ne fut, on nous l'assure,
Point ne fronda la superstition,
Monstre et tyran du sublunaire empire.
Il sut garder au fond de sa maison
La vérité, sans daigner la produire;
Ah! cher lecteur, il avait bien raison.
L'erreur se cache, elle craint et redoute
L'éclat brillant dont luit la vérité;
Un seul rayon qui perce dans sa voûte,
En éclairant sa sombre obscurité,
Met imposteurs et dupes en déroute.

Faite à Breslau, ce 23 février 1762.


246-a Le Roi écrit au marquis d'Argent, dans sa lettre du 6 mars 1762 : « Je vous envoie un conte que j'ai fait; j'étais plein, en le composant, de la lecture de Bossuet et de ses impertinentes Variations, où toutes les rêveries mystiques de l'école sont expliquées. »