<93>Et pardonnait en leur faveur
A tous les vices de l'espèce.
Dieux protecteurs des malheureux,
Dieux sensibles et pitoyables,
Qui recevez les pleurs des humains misérables,
Toi, qui de l'amitié formas les premiers nœuds,
Mes dieux, soyez-moi favorables,
Entendez mes cris douloureux,
Et ne permettez pas qu'en vain je vous implore;
Dérobez au trépas une sœur que j'adore,
Agréez mon encens, mes larmes, mes soupirs.
Si jusque dans les cieux ma voix se fait entendre,
Exaucez les vœux d'un cœur tendre,
Et daignez accorder à mes ardents désirs
Le seul bien qu'à jamais de vous j'ose prétendre.
Conservez les précieux jours
De votre plus parfait ouvrage;
Que la santé brillante accompagne leur cours,
Et qu'un bonheur égal soit toujours leur partage.
Si l'inflexible sort qui nous donne la loi
Demande un sanglant sacrifice,
Daignez éclairer sa justice,
Que son choix rigoureux ne tombe que sur moi.
J'attends sans murmurer, victime obéissante,
Que l'inexorable trépas,
De ma sœur détournant ses pas,
Veuille émousser sur moi sa faux étincelante.
Mais si tant de faveurs que j'ose demander
Sur un faible mortel ne peuvent se répandre,
O mes dieux! daignez m'accorder
Que nous puissions tous deux au même jour descendre
Dans ces champs ombragés de myrtes, de cyprès,
Séjour d'une éternelle paix,
Et qu'un même tombeau renferme notre cendre.

(Faite à Rodewitz, le 12 octobre 1758. La margrave de Baireuth
mourut le 14. Voyez t. IV, p. 238 et 252.)