<45>Le temps s'enfuit, l'heure s'écoule,
Et m'approche déjà de la fin de mes jours.
Pourrai-je encor sur le Parnasse,
Me traînant sur les pas d'Horace,
Monter, en étalant mes cheveux blanchissants,
Quand neuf lustres complets dont me chargent les ans
Me montrent la frivole audace
D'efforts désormais impuissants?
Les Muses, on le sait, choisissent leurs amants
Dans l'âge de la bagatelle;
Hélas! j'ai passé ce bon temps.
Si pourtant, m'honorant d'une faveur nouvelle,
Calliope daignait, en réchauffant mes sens,
M'inspirer par bonté des sons encor touchants,
Rempli des feux de l'immortelle,
Croyant mes beaux jours renaissants,
Je chanterais vos agréments,
Votre amitié tendre et fidèle,
Vos grâces, vos divers talents;
Par les accords de l'harmonie,
De l'émule de Polymnie
Je pourrais attirer les regards indulgents.
Trop promptement, hélas! de cet aimable songe
Se dissipe l'illusion;
Déjà le réveil me replonge
Dans la triste réflexion.
Qu'importe qu'une muse folle
M'égare par légèreté?
Heureux quand l'erreur nous console
Des ennuis de la vérité!

(Septembre 1757.)