<84>Pour tromper un rival, Mazarin, par finesse,
Voulut charger Fabert d'une fausse promesse;
Mais Fabert refusa ce méprisable emploi :
« Non, pour des vérités, seigneur, réservez-moi;
Quand vous voudrez, dit-il, tenir votre parole,
Pour y donner du poids, commandez, et je vole. »a
Modèle des humains, ah! puissé-je en mes vers
Publier tes vertus au bout de l'univers!
Ainsi cet électeur, source de notre gloire,
Aussi grand dans la paix qu'au sein de la victoire,
Dans un jour de combat émule dangereux,
Se montra des Français l'ennemi généreux :
Un scélérat14 s'offrit d'assassiner Turenne;
Plein d'horreur du projet, il marque au capitaine
Le sinistre complot qu'un traître osait ourdir :
Je sais vaincre, dit-il, et ne sais point trahir.
La vérité déteste une finesse infâme,
Son discours est pour nous le miroir de son âme;
Elle joint avec art à la sincérité
Les grâces, la douceur, l'antique urbanité.
Ne soutenez donc plus, esprits souillés de crimes,
A qui l'enfer prêcha ses maudites maximes,
Que le grand art du monde est d'être fourbe et fin,
Et que la vérité, fâcheuse au genre humain,
Décrépite harpie, est faite pour déplaire :
Allez, voyez Camas, vous direz le contraire.

Fait 1740, et corrigé à Potsdam 18 février 1750. (Envoyé à Voltaire au
mois de mai 1740, et au comte Algarotti le 19 du même mois.)


14 Ce malheureux s'appelait Villeneufve. [Voyez t. I, p. 81.]

a Voyez t. VIII, p. 136 et 137.