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LETTRE VIII. A VOLTAIRE.a

Dans votre prose délicate
Vous avancez très-poliment
Que je ne suis qu'un automate,
Un stoïque sans sentiment.
Mes larmes coulent pour Électre,
Je suis sensible à l'amitié;
Mais le plus héroïque spectre
Ne m'inspire que la pitié.

Votre cardinal Quirini est bien digne du temps des spectres et des sortiléges. Vous connaissez votre monde, et c'était bien s'adresser de lui dire que, tout catholique étant obligé de croire aux miracles, le parterre se trouvait en conscience obligé de trembler devant l'ombre de Ninus. Je vous réponds que le bibliothécaire de Sa Sainteté approuvera fort cette doctrine orthodoxe. Pour moi, qui ne suis qu'un maudit hérétique, vous me permettrez d'être d'un sentiment différent, et de vous dire ingénument ce que je pense de votre tragédie. Quelque détour que vous preniez pour cacher le nœud de Sémiramis, ce n'en est pas moins l'ombre de Ninus : c'est cette ombre qui inspire des remords dévorants à sa veuve parricide; c'est l'ombre qui permet galamment à la veuve de convoler en secondes noces; l'ombre fait entendre


a Réponse à la lettre de Voltaire du 17 novembre 1749.