<98>Et, prenant la nature à l'instant que tout naît,
Décomposer chaque être et savoir ce qu'il est.
L'Éternel nous cacha ces objets des sciences,
Il nous rendit heureux sans tant de connaissances;
Plions modestement nos vœux à ses arrêts,
Du lot qui nous échut soyons tous satisfaits,
Qu'à notre esprit débile et prudemment timide
La modération serve toujours de guide.
Ce fut dans son école où fleurit autrefois
Ce philosophe grec5 dont nous suivons les lois;
Ce sage, de l'erreur craignant le bras magique,
Contre elle se couvrit de l'égide sceptique;
De notre faible esprit il connaissait l'orgueil,
Et d'un système adroit le dangereux écueil.
Cicéron, son disciple, au fond de l'Ausonie
Transporta son école et son académie.
Philosophe prudent, généreux sénateur,
Père de la patrie et fléau de l'erreur,
O sage Cicéron, présidez à ma verve,
Soyez mon Uranie et soyez ma Minerve,
Vous, de qui l'éloquence en plein barreau dompta
Le rapace Verrès, l'affreux Catilina;
Qui, retiré depuis dans les champs de Tuscule,
Apprîtes à douter au monde trop crédule,
Et peignant la vertu dans toute sa beauté,
Montrâtes le chemin de la félicité.
Oui, laissons dans les cieux la science sublime,
Travaillons dans le monde à détruire le crime :
Que sert-il après tout à l'esprit curieux
De descendre aux enfers, d'escalader les cieux?
Loin de nous égarer dans ce sombre dédale,
Appliquons notre esprit à l'utile morale :
C'est elle qui, sondant tous les replis des cœurs,
Sans fard ose aux mortels reprocher leurs noirceurs,
Dévoiler leurs défauts, attaquer leurs caprices,
Distinguer hardiment leurs vertus et leurs vices,


5 Carnéade.