<71>Ont été par les arts doublement couronnés;
L'exemple et le plaisir guidaient à la science,
Et la gloire en était l'illustre récompense.
Qu'heureux sont les mortels avides de savoir!
Éclairer notre esprit est pour nous un devoir;
La science, Hermotime, est pour celui qui l'aime
Un organe nouveau de son bonheur suprême.
Esprits anéantis, automates pesants,
Imbéciles humains absorbés dans vos sens,
On voit revivre en vous ce monarque superbe
Qui, privé de raison, dans les bois broutait l'herbe;a
Votre vie est un rêve, un stupide sommeil,
Et vous aurez vécu sans avoir de réveil.
Craignez ce sort affreux, ô mon cher Hermotime!
Prêt à vous assoupir, que ma voix vous ranime,
Laissez, laissez périr des imprudents, des fous
Plongés dans leurs plaisirs, noyés dans leurs dégoûts,
Opprobres des humains, que le monde méprise.
La sagesse prospère où périt la sottise;b
A tout être créé le ciel accorde un don,
Aux animaux l'instinct, aux hommes la raison.
Qui vers les vérités sent son âme élancée,
Animal par les sens, est dieu par la pensée;
Pourriez-vous négliger ce présent précieux,
Qui rend l'homme mortel un citoyen des cieux?
L'esprit se perd enfin chez les Sardanapales;
Il est pareil au feu qu'attisaient les vestales,
Il faut l'entretenir, l'étude le nourrit,
S'il ne s'accroît sans cesse, il s'éteint et périt.
Voilà le seul parti que le sage doit suivre :
Végéter c'est mourir, beaucoup penser c'est vivre.

(Envoyée à Voltaire le 29 novembre 1748.) A Potsdam, le 26 de septembre 1749.


a Nabuchodonosor, roi de Babylone. Daniel, chap. 4, versets 30 et 31.

b Voyez ci-dessus, p. 41.