<62>Fuyez d'un tendre amour l'amorce enchanteresse;a
On peut à tous ses goûts se prêter sagement,
Le plaisir est plus fin, goûté modérément;
Je blâme comme vous cette misanthropie
Qui veut nous séquestrer des biens de cette vie,
En nous interdisant tout genre de plaisirs.
Que seraient les humains sans vœux et sans désirs?
Des esprits engourdis, des êtres imbéciles,
De la société membres très-inutiles,
Qui, n'étant animés par le bien ni le mal,
Seraient ensevelis dans un sommeil fatal.
Nos désirs sont des feux qui réchauffent notre âme,
C'est leur embrasement qu'on redoute ou qu'on blâme;
Il est certain milieu qu'il faut savoir tenir,
La sagesse, mon frère, y fait enfin venir.
Mais c'est bien à mon âge à parler de sagesse!
De mes égarements je sens toute l'ivresse,
Je sens, en proférant le nom de la vertu,
De mon aveu secret mon orgueil confondu;
Sans traîner ce discours et trop long et trop ample,
Ah! je devrais plutôt vous prêcher par l'exemple.

1736. (Envoyée à Voltaire le 22 novembre 1738.) Renouvelée à Potsdam, novembre 1749.


a Réminiscence des vers 261 et 262 du 1er chant de la Henriade :
     

Surtout des plus grands cœurs évitez la faiblesse :
Fuyez d'un doux poison l'amorce enchanteresse.