<59>Lorsqu'Auguste buvait, la Pologne était ivre;
Lorsque le grand Louis brûla d'un tendre amour,
Paris devint Cythère, et tout suivit la cour :
Quand il se fit dévot, ardent à la prière,
Le lâche courtisan marmotta son bréviaire.
Tout prince est entouré de vils adulateurs,
De ses goûts dépravés mercenaires flatteurs,
Qui, remplis de mépris pour son âme commune,
N'adorent en effet que l'aveugle fortune.
Alexandre, dit-on, eut le torticoli :
De tous ses courtisans le cortége poli
Par art négligemment laissait pencher la tête.
Des seigneurs de la cour tel est l'usage honnête.
Renversez à la fois la coupe, le poison
Qui, corrompant vos mœurs, perdrait votre raison.
Quel que soit le pouvoir qui vous tombe en partage,
Que le bien des humains soit toujours votre ouvrage,
Et, plus ils sont ingrats, plus soyez généreux :
C'est un plaisir divin de faire des heureux.
Surtout n'abusez point d'une vaste puissance,
Et n'écoutez jamais la voix de la vengeance :
Qui ne peut se dompter, qui ne peut pardonner,
Est indigne du rang qui l'appelle à régner.
De nos conditions le destin fut le maître,
Et nous sommes ici ce qu'il nous y fit naître;
Nos lots ont été faits quelquefois au hasard,
L'un guida la charrue, et l'autre fut César.
C'est ainsi que d'un bloc un ouvrier peut faire
Un ustensile abject ou le saint qu'on révère;
Sa matière est égale, et c'est sa volonté
Qui seule en fait l'usage, et forme sa beauté.
Ainsi tous ces humains dont la terre fourmille
Sont fils d'un même père et font une famille,
Et, malgré tout l'orgueil que donne votre rang,
Ils sont nés vos égaux, ils sont de votre sang.
Ouvrez toujours le cœur à leur plainte importune,
Et couvres leur misère avec votre fortune;