<47>L'homme règle aussi peu le jeu de la fortune
Qu'il peut régler du Rhin le cours majestueux :
Tantôt il porte en paix son tribut à Neptune,
Tantôt on voit grossir ses flots impétueux,
Gonflé des eaux des montagnes,
Briser ses freins impuissants,
Et ravager les campagnes,
En noyant leurs habitants.

Que l'air soit dès demain chargé de noirs nuages
Ou qu'un soleil brillant embellisse les cieux,
Qu'importe à ma vertu le vain bruit des orages
Et de l'astre des jours l'appareil radieux?
Dieu même n'est pas le maître
De réformer le passé,
Le temps, prompt à disparaître,
L'a dans son vol effacé.

Connaissez la Fortune inconstante et légère :
La perfide se plaît aux plus cruels revers,
On la voit abuser le sage, le vulgaire,
Jouer insolemment tout ce faible univers;
Aujourd'hui c'est sur ma tête
Qu'elle répand ses faveurs,
Dès demain elle s'apprête
A les emporter ailleurs.
Fixe-t-elle sur moi sa bizarre inconstance,
Mon cœur lui saura gré du bien qu'elle me fait;
Veut-elle en d'autres lieux marquer sa bienveillance,
Je lui remets ses dons sans chagrin, sans regret.
Plein d'une vertu plus forte,
J'épouse la Pauvreté,
Si pour dot elle m'apporte
L'honneur et la probité.