<220>Rejetez pour jamais un si funeste encens.
Pouvez-vous ignorer qu'un roi, quoi qu'il propose,
Et quoi qu'il entreprenne, excelle en toute chose?
S'il aime les dangers, les combats, les hasards,
Pour l'élever plus haut on abaissera Mars;
S'il est fort, aussitôt le flatteur sans scrupule
Lui prouve que d'Alcide il est le seul émule;
Son cœur est-il d'amour facile à s'enflammer,
C'était pour lui qu'Ovide avait fait l'Art d'aimer;
Lorsqu'à de mauvais vers comme vous il s'amuse,
Il rend jusqu'à Voltaire envieux de sa muse.
Revenez, mon esprit, de votre aveuglement,
Que l'amour-propre enfin le cède au jugement.
Est-il chez les humains de vertu sans mélanges?a
Rabattons sans orgueil les trois quarts des louanges
Que certains beaux esprits nous donnent à l'excès;
Vous faut-il tant d'encens pour ces faibles succès?
Qu'avec Horace un jour votre muse barbare
Pour vous apprécier humblement se compare,
Alors de vos écrits les défauts dévoilés
Vous feront convenir du peu que vous valez;
Détestant de vos vers l'insipide volume,
Vous remettrez d'abord l'ouvrage sur l'enclume.
Étudiez surtout la docte antiquité :
Plus vous approcherez de son urbanité,
Plus vous aurez de goût pour ses divins ouvrages,
Et plus vous aurez droit d'attendre des suffrages.
C'est là votre modèle, et ces trésors ouverts
Orneront vos écrits et plairont dans vos vers.
Mais puisque je vous vois toujours inébranlable,
Que les vers ont pour vous un charme inconcevable,
Que ne pouvant vous taire, et marmottant tout bas,
Comme cet indiscret confident de Midas,
Vous contez aux roseaux mes passe-temps frivoles,
Du moins consolez-moi de vos visions folles;
Apprenez quelque jour aux lecteurs indulgents,


a Sans mélange. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 345.)