<159>Pour adoucir les traits de l'austère raison,
Qu'on me permette ici d'emprunter ses nuances
Pour cacher sous des fleurs l'âpreté des sentences.
Sur le sommet d'un mont de rochers hérissé
Le temple de la Gloire était jadis placé;
Elle promit un prix à ceux dont le courage,
Surmontant ces dangers, viendrait lui rendre hommage.
Un jour, tous ses amants, excités par ce prix,
Tentèrent de monter à son sacré pourpris.
En approchant du mont, les uns, pleins de surprise,
Restaient tout étonnés de leur grande entreprise;
Plus loin, des jeunes gens légers, fous, amoureux,
Allaient cueillant des fleurs pour l'objet de leurs vœux;
D'autres d'un pas timide entraient dans la carrière,
Effrayés du danger, retournaient en arrière,
Et d'autres, fatigués, rebutés, abattus,
Se couchaient sans vigueur sur le roc étendus;
On en voyait plus haut monter avec audace,
Jaloux de leurs rivaux, leur disputer la place,
Au bord du précipice au point de succomber,
Se heurter en fureur, au bas du mont tomber.
Un sage sans envie et sans incertitude,
Par un sentier plus court et même encor plus rude,
Animé par le prix que la Gloire promet,
De rochers en rochers vola jusqu'au sommet;
C'est là qu'il fut reçu dans les bras de la Gloire,
Et son nom fut écrit au temple de Mémoire,
Dans ce livre si court où sont les noms fameux
Des mortels dont le cœur fut ferme et vertueux.
La déesse, approuvant l'effort de son courage,
Lui dit : « Soyez heureux, jouissez du partage
De ces esprits actifs, auteurs, rois et guerriers :
Le repos est permis, mais c'est sous des lauriers. »a

A Berlin, ce 28 de décembre 1749.


a Sous les lauriers. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 246.)