<139>D'Homère et de Zeuxis compara la science;
Des lettrés étrangers forcèrent ceux de France
A priser cet ouvrage approuvé d'Apollon.
Londres ne connut point la muse de Milton;
Longtemps après sa mort, l'Anglais mélancolique
Aperçut les beautés de son poëme épique;
Si l'ouvrage était bon, il le fut de tout temps,
Mais il faut de bons yeux pour juger des talents.
Je vois que ces écrits et ces pièces nouvelles
Vous semblent dans le fond d'aimables bagatelles;
Vous pensez qu'en payant l'ouvrage à l'éditeur,
Le droit de le juger appartient au lecteur,
Que l'un aime le simple et l'autre le sublime,
Que soutenir son choix n'est pas un si grand crime,
Mais que tous les humains pensent profondément
Lorsqu'il faut décider d'un sujet important,
D'un sujet dont dépend leur fortune et leur vie.
Ah! c'est là, cher Bredow, que paraît leur folie.
Erreur, sur notre esprit jusqu'où va ton pouvoir!
Dans ce siècle éclairé, plein d'un profond savoir,
De nos bons Berlinois la cervelle insensée
Prend la poudre d'Ailhauda pour une panacée;
Aucun d'eux ne connaît l'empirique docteur,
Du remède nouveau téméraire inventeur;
Sans un long examen, qui leur est incommode,
Éblouis par l'espoir, attirés par la mode,
Ils éprouvent sur eux quels seront ses effets.
Ne vous souvient-il plus du règne des sachets,
Fameux préservatif du mal qu'on appréhende,
Aussi sûr que les os d'un saint de la légende?
J'ai vu, Bredow, j'ai vu mes chers concitoyens,
Chargeant de ces sachets leurs cous luthériens,


a Jean Ailhaud, chirurgien, né à Lourmian en Provence, ne doit sa célébrité qu'à la poudre purgative qui porte son nom, et qui n'était autre chose qu'un mélange de résine, de scammonée et de suie. En 1788, il publia un Traité de l'origine des maladies et des effets de la poudre purgative. Il mourut à Aix, en 1706, à l'âge de quatre-vingt-deux ans.