<258>Je vous donne gain de cause sur tous ces articles; je vous accorde encore en sus que ceux qui ont part à l'administration publique jouissent d'une partie de l'autorité souveraine; mais que m'importe tout cela? Je suis sans vanité et sans ambition. Quel motif aurais-je pour me charger d'un fardeau que je n'ai pas envie de porter, et pour m'ingérer dans les affaires, quand je vis heureux sans que la pensée de m'en mêler me vienne dans l'esprit? Vous avouez que l'ambition outrée est vicieuse. Vous devez donc m'applaudir de ce que je n'y donne pas, et ne point exiger que j'abandonne ma douce tranquillité pour m'exposer de gaieté de cœur à tous les caprices de la fortune. Ah! mon cher ami, à quoi pensez-vous en me donnant de tels conseils? Représentez-vous des plus vives couleurs la dureté du joug que vous voulez m'imposer, quel désagrément il entraîne, et quelles en sont les suites fâcheuses. Dans l'état où je me trouve, je ne suis comptable de ma conduite qu'à moi-même, je suis le seul juge de mes actions, je jouis d'un revenu honnête, je n'ai pas besoin de gagner ma vie à la sueur de mon corps, comme vous assurez qu'il a été ordonné à nos premiers parents. Par quelle folie, jouissant de la liberté, me rendrai-je donc responsable de ma conduite envers d'autres? Sera-ce par vanité? Je ne la connais pas. Sera-ce pour tirer des gages? Je n'en ai pas besoin. J'irai donc sans raison quelconque me mêler d'affaires qui ne me regardent point, désagréables, pénibles, fatigantes, et qui demandent une activité laborieuse; et j'entreprendrais tous ces travaux, pourquoi? Pour me soumettre au jugement de quelque supérieur dont je n'ai ni l'envie ni la volonté de dépendre? Et ne voyez-vous pas la multitude des personnes qui sollicitent des emplois? Pourquoi voulez-vous me mettre de leur nombre? Que je serve ou que je ne serve pas, les choses en iront également leur train. Mais de grâce souffrez qu'à ces raisons j'en ajoute une plus forte encore. Enseignez-moi le pays de l'Europe où le mérite est toujours sûr d'être récompensé. Montrez-moi celui où ce mérite est