<246> fixer les idées sur des objets déterminés. Voici donc comme je définis le bon citoyen : c'est un homme qui s'est fait une règle invariable d'être utile, autant qu'il dépend de lui, à la société dont il est membre. Voici les causes qui amènent ces devoirs. L'espèce humaine ne saurait subsister isolée; les nations les plus barbares même forment de petites communautés. Les peuples civilisés que le pacte sociala réunit se doivent mutuellement des secours; leur propre intérêt le veut, le bien général l'exige, et sitôt qu'ils cesseraient de s'entr'aider et de s'assister, il s'ensuivrait d'une façon ou d'une autre une confusion totale, qui entraînerait la perte de chaque individu. Ces maximes ne sont pas nouvelles; elles ont servi de base à toutes les républiques dont l'antiquité nous a transmis la mémoire. Les républiques grecques étaient fondées sur de pareilles lois; celle des Romains avait les mêmes principes. Si nous les avons vues par la suite du temps détruites, c'est que les Grecs, d'un esprit inquiet, et jaloux les uns des autres, s'attirèrent eux-mêmes les malheurs qui les accablèrent, et que quelques citoyens romains, trop puissants pour des républicains, bouleversèrent leur gouvernement par une ambition désordonnée; c'est qu'enfin rien n'est stable dans ce monde. Si vous résumez ce que l'histoire rapporte sur ce sujet, vous trouverez qu'on ne peut attribuer la chute de ces républiques qu'à des citoyens aveuglés par leurs passions, qui, préférant leur bien particulier à l'intérêt de leur patrie, ont rompu le pacte social, et ont agi comme ennemis de la communauté à laquelle ils appartenaient.

Je me souviens que vous étiez d'opinion qu'on pouvait s'attendre à trouver des citoyens dans les républiques, mais que vous ne croyiez pas qu'il y en eût dans les monarchies : souffrez que je vous désabuse de cette erreur. Les bonnes monarchies, dont l'administration est sage et pleine de douceur, forment de nos jours un gouvernement qui approche plus de l'oligarchie que du despotisme; ce sont les lois


a Voyez ci-dessus, p. 224.