<139> grand mérite,a qui place le bonheur de sa vie à former cette jeunesse en présidant à son éducation, en lui élevant l'âme, en lui inculquant des principes de vertu, et en s'efforçant de les rendre utiles à la patrie. Cet établissement étant destiné pour la pauvre noblesse, les premières familles n'y placent pas leurs enfants. Si le père fait entrer son fils dans les finances ou dans la justice, dès ce moment il le perd de vue, il est abandonné à lui-même, et le hasard décide du pli qu'il prendra. Souvent, au sortir des universités, on établit l'héritier sur ses terres, où tout ce qu'il a pu apprendre lui devient autant qu'inutile. Voilà en gros la marche qu'on tient pour l'éducation de la jeunesse. Voici le mal qui en résulte.

La mollesse de cette première éducation rend les jeunes gens efféminés, commodes, paresseux et lâches. Au lieu de ressembler à la race des anciens Germains, on les prendrait pour une colonie de Sybaris transplantée dans cette contrée; ils croupissent dans l'oisiveté et dans la fainéantise; ils pensent qu'ils ne sont au monde que pour avoir du plaisir et des commodités, et que des hommes comme eux sont dispensés du devoir d'être utiles à la société; de là ces écarts, ces folies, ces dettes qu'ils contractent, ces débauches, ces prodigalités qui ont ruiné dans ce pays tant de familles opulentes. J'avoue que ces défauts tiennent autant à l'âge qu'à l'éducation; je conviens que la jeunesse se ressemble partout, à quelques nuances près, et j'avoue que dans cet âge où les passions sont les plus vives, la raison n'est pas toujours la plus forte. Cependant je suis persuadé que par une discipline sage, plus mâle, et, quand il en est besoin, plus sévère, on arrêterait bien des fils de famille au bord de l'abîme où ils vont se précipiter. Le déréglement de leurs mœurs tire d'autant plus à conséquence dans ce pays-ci, que le droit de primogéniture n'y est point établi comme en Autriche et dans les autres provinces de l'Impératrice-Reine; il ne faut qu'un mauvais sujet dans une famille pour qu'elle tombe dans la


a Le lieutenant-général de Buddenbrock. Voyez ci-dessus, p. 97.