<55> partagés. Les petits souverains réunis ont composé ce qu'on appelle des académies; et comme, dans les gouvernements aristocratiques, il s'est souvent trouvé des hommes, nés avec une intelligence supérieure, qui se sont élevés au-dessus des autres, de même les siècles éclairés ont produit des hommes qui ont concentré en eux les sciences qui devaient donner une occupation suffisante à quarante têtes pensantes. Ce que les Leibniz, ce que les Fontenellea ont été de leur temps, M. de Voltaire l'est aujourd'hui. Il n'y a aucune science qui n'entre dans la sphère de son activité, et, depuis la géométrie la plus sublime jusqu'à la poésie, la force de son génie a tout soumis.

Quiconque a la connaissance du monde, et quiconque a lu les ouvrages de M. de Voltaire, concevra sans peine que l'envie ne pouvait l'épargner : un mérite supérieur, joint à une vaste réputation, révolte d'ordinaire les demi-savants, les amphibies d'érudition et d'ignorance; ces misérables, étant eux-mêmes sans talents, maltraitent fièrement ceux qu'ils pensent leur être inférieurs, et persécutent opiniâtrement ceux dont l'éclatante lumière les éclipse. Aussi tout ce qu'ont pu la malice et la calomnie, l'ingratitude et la haine, s'est ligué contre M. de Voltaire; il n'y a aucune sorte de persécution qu'il n'ait soufferte, et des magistrats qui, pour le soin de leur propre gloire, auraient dû le protéger, l'ont abandonné lâchement à la haine de ceux que leurs crimes ont rendus ses ennemis.

Malgré une vingtaine de sciences qui partagent M. de Voltaire, malgré ses fréquentes infirmités et les chagrins que lui donnent d'indignes envieux, il a conduit sa Henriade à un point de maturité où je ne sache pas qu'aucun poëme soit jamais parvenu.b

On trouve toute la sagesse imaginable dans la conduite et dans l'économie de la Henriade. L'auteur a profité des reproches qu'on a


a Fontenelle, né le 11 février 1657, ne mourut que le 9 janvier 1757.

b Voyez t. VII, p. 65.