<41> se réduit à l'habitude que nous nous faisons de nous servir d'expressions obscures, de termes que nous ne comprenons guère, et à une profonde méditation sur des effets dont les causes nous restent bien inconnues et bien cachées. L'amas pitoyable de ces rêveries est honoré du beau nom d'excellente philosophie, que l'auteur annonce avec l'arrogance d'un charlatan, comme la découverte la plus rare et la plus utile au genre humain. La curiosité vous pousse-t-elle à vous informer de cette découverte, vous croyez trouver des choses : quelle injustice de vous y attendre! Non, cette découverte si rare, si précieuse, ne consiste que dans la composition d'un nouveau mot plus barbare qu'aucun de ceux qui ont jamais paru; ce nouveau mot, selon notre charlatan, explique merveilleusement certaine vérité ignorée, et vous la montre plus brillante que le jour. Voyez, examinez, dépouillez son idée de l'appareil des termes qui la couvraient, il ne vous en reste rien; même obscurité, mêmes ténèbres. C'est une décoration qui disparaît, et qui détruit avec soi les prestiges de l'illusion.

La véritable connaissance de la vérité doit être bien différente de celle que je viens de vous présenter : il faudrait pouvoir indiquer toutes les causes; il faudrait, en remontant jusqu'aux premiers principes, les connaître et en développer l'essence. C'est ce que Lucrèce sentait bien, et ce qui faisait dire à ce poëte philosophe : Felix, qui potuit rerum cognoscere causas!a Le nombre des premiers principes des êtres et les ressorts de la nature sont, ou trop immenses, ou trop petits pour être aperçus et connus des philosophes; de là viennent ces disputes sur les atomes, sur la matière divisible à l'infini, sur le plein ou sur le vide,b sur le mouvement, sur la manière dont le monde est gouverné : tout autant de questions très-épineuses, et que


a Ce vers n'est pas de Lucrèce : il se trouve dans les Géorgiques de Virgile, livre II, v. 490.

b Voyez t. VII, p. 127.