<329>tions le soin de bien éclaircir les termes, il faut que le grammairien pointilleux précède le politique habile, afin que cette distinction frauduleuse de l'esprit et de la parole du traité ne puisse point avoir lieu. Et il est sûr que les grands hommes n'ont jamais regretté le temps qu'ils ont donné à la réflexion avant que d'agir, puisque, ensuite, après avoir pris des engagements, ils n'ont pas eu lieu de s'en repentir; ou du moins on a moins de reproches à se faire lorsqu'on a employé tous les ressorts de la sagesse en ses conseils que si l'on avait pris une résolution avec feu, et qu'on l'eût exécutée avec précipitation.

Toutes les négociations ne se font pas par les ministres accrédités; on envoie souvent des personnes sans caractère dans des lieux tiers où ils font des propositions sans que personne en puisse prendre ombrage. Les préliminaires de la dernière paix furent conclus de cette manière entre l'Empereur et la France, à l'insu de l'Empire et des puissances maritimes; cet accommodement se fit chez un comte de l'Empire14 qui a ses terres au bord du Rhin.

Victor-Amédée, le prince le plus habile et le plus artificieux de son temps, savait plus que personne au inonde l'art de dissimuler ses desseins. Il trompa l'univers plus d'une fois par ses ruses, entre autres, lorsque le maréchal de Catinat, dans le froc d'un moine et sous prétexte de travailler au salut de cette âme royale, retira ce prince du parti de l'Empereur, et en fit un prosélyte à la France. Cette négociation, qui se fit entre eux deux uniquement, fut conduite avec tant de dextérité, que la nouvelle alliance de la France et de la Sardaigne parut aux politiques de ce temps-là un phénomène inopiné et extraordinaire.

Je ne propose point cet exemple pour justifier la conduite de Victor-Amédée; ma plume fait aussi peu de quartier à la fourberie des rois qu'à la déloyauté des particuliers. Je prétends simplement


14 Le comte de Neuwied. [Voyez t. I, p. 193 et 194; voyez aussi Journal secret du baron de Seckendorff, p. 129-138.]