<308> pour se rendre agréable; il flatte le prince, il entre dans ses goûts, il approuve ses passions : c'est un caméléon qui prend toutes les couleurs qu'il réfléchit.

Après tout, si Sixte-Quint a pu tromper soixante-dix cardinaux qui devaient le connaître, combien, à plus forte raison, n'est-il pas facile à un particulier de surprendre la pénétration du souverain qui a manqué d'occasions pour l'approfondir!

Un prince d'esprit peut juger sans peine du génie et de la capacité de ceux qui le servent; mais il lui est presque impossible de bien juger de leur désintéressement et de leur fidélité, puisque ordinairement la politique des ministres est de cacher surtout leurs pratiques et leurs mauvaises menées à celui qui est en droit de les en punir, s'il en était instruit.

On a vu souvent que des hommes paraissent vertueux, faute d'occasions pour se démentir, mais qu'ils ont renoncé à l'honnêteté dès que leur vertu a été mise à l'épreuve. On ne parla point mal à Rome des Tibère, des Néron, des Caligula, avant qu'ils parvinssent au trône; peut-être que leur scélératesse serait restée brute, si elle n'avait été mise en œuvre par l'occasion qui, pour ainsi dire, développait le germe de leur méchanceté.

Il se trouve des hommes qui joignent à beaucoup d'esprit, de souplesse et de talents l'âme la plus noire et la plus ingrate; il s'en trouve d'autres qui possèdent toutes les qualités du cœur sans cet instinct vif et brillant qui caractérise le génie.

Les princes prudents ont ordinairement donné la préférence à ceux chez qui les qualités du cœur prévalaient, pour les employer dans l'intérieur de leur pays. Ils leur ont préféré, au contraire, ceux qui avaient plus de vivacité et de feu, pour s'en servir dans des négociations. Leurs raisons ont été sans doute que, puisqu'il ne s'agit que de maintenir l'ordre et la justice dans leurs États, il suffit de l'honnêteté, et que, comme il est question de séduire les voisins par des