<301>huitième chapitre il les dégageait formellement de leur parole. Il fait comme ces diseurs de bonne aventure qui disent blanc aux uns et noir aux autres.

Si Machiavel raisonne mal sur tout ce que nous venons de dire, il parle bien sur la prudence que les princes doivent avoir de ne point s'engager légèrement avec d'autres princes plus puissants qu'eux, qui, au lieu de les secourir, pourraient les abîmer.

C'est ce que savait un grand prince d'Allemagne, également estimé de ses amis et de ses ennemis. Les Suédois entrèrent dans ses États lorsqu'il en était éloigné avec toutes ses troupes pour secourir l'Empereur au Bas-Rhin, dans la guerre qu'il soutenait contre la France. Les ministres de ce prince lui conseillèrent, à la nouvelle de cette irruption soudaine, d'appeler le czar de Russie à son secours. Mais ce prince, plus pénétrant qu'eux, leur répondit que les Moscovites étaient comme des ours qu'il ne fallait point déchaîner, de crainte de ne pouvoir remettre leurs chaînes, si une fois ils en étaient quittes;a il prit généreusement sur lui les soins de sa vengeance, et il n'eut pas lieu de s'en repentir.

Si je vivais dans le siècle futur, j'allongerais assurément cet article par quelques réflexions qui pourraient y convenir; mais ce n'est point à moi à juger de la conduite des princes modernes, et dans le monde il faut savoir parler et se taire à propos.

La matière de la neutralité est aussi bien traitée par Machiavel que celle des engagements des princes. L'expérience a démontré depuis longtemps qu'un prince neutre expose son pays aux injures des deux parties belligérantes, que ses États deviennent le théâtre de la guerre, et qu'il perd toujours par la neutralité, sans que jamais il ait rien de solide à y gagner.

Il y a deux manières par lesquelles un souverain peut s'agrandir : l'une est celle de la conquête, lorsqu'un prince guerrier recule par la


a Voyez ci-dessus, p. 153.