<218>La conduite de ce roi était d'un homme sensible et humain; celle de César Borgia était d'un scélérat et d'un tyran. L'un, en père de ses peuples, avait de l'indulgence pour ces faiblesses qu'il savait être inséparables de l'humanité; l'autre, toujours rigoureux, toujours féroce, persécutait ceux de ses sujets dont il appréhendait que les vices ne fussent semblables aux siens propres; l'un pouvait soutenir la vue de ses faiblesses, et l'autre n'osait voir ses crimes. Borgia fait mettre en pièces le cruel d'Orco, qui avait si parfaitement rempli ses intentions, afin de se rendre agréable au peuple en punissant l'organe de sa barbarie et de sa cruauté. Le poids de la tyrannie ne s'appesantit jamais davantage que lorsque le tyran veut revêtir les dehors de l'innocence, et que l'oppression se fait à l'ombre des lois. Le tyran ne veut pas même laisser au peuple la faible consolation de connaître ses injustices; pour disculper ses cruautés, il faut que d'autres en soient coupables, et que d'autres en portent la peine. Il me semble voir un assassin qui, croyant abuser le public et se faire absoudre, jetterait aux flammes l'instrument de sa fureur. C'est à quoi se peuvent attendre les ministres indignes du crime des princes : quand même ils sont récompensés dans le besoin, ils servent tôt ou tard de victimes à leurs maîtres; ce qui est en même temps une belle leçon pour ceux qui se confient légèrement à des fourbes comme César Borgia, et pour ceux qui se livrent, sans réserve et sans égard à la vertu, au service de leurs souverains. Ainsi le crime porte toujours sa punition avec soi.

Borgia, poussant la prévoyance jusqu'après la mort du pape son père, commençait par exterminer tous ceux qu'il avait dépouillés de leurs biens, afin que le nouveau pape ne s'en pût servir contre lui. Voyez la cascade du crime : pour fournir aux dépenses, il faut avoir des biens; pour en avoir, il faut en dépouiller les possesseurs; et pour en jouir avec sûreté, il faut les exterminer. Le comte de Horn, exécuté en Grève, n'aurait pas dit mieux. Il en est des mauvaises actions