<188> comme en toutes les familles on trouve des personnes bien faites, des bossus, des aveugles, ou des boiteux; qu'ainsi il y a eu et il y aura toujours des monstres parmi les princes, indignes de porter ce nom sacré. Je pourrais encore ajouter que comme la séduction du trône est très-puissante, il faut plus qu'une vertu commune pour y résister, et qu'ainsi il n'est point étonnant de trouver si peu de bons princes. Cependant ceux qui jugent si légèrement doivent se souvenir que, parmi les Caligulas et les Tibères, on compte des Titus, des Trajans et des Antonins; ainsi, qu'il y a une injustice criante, de leur côté, d'attribuer à tout un ordre ce qui ne convient qu'à quelques-uns de ses membres.

On ne devrait conserver dans l'histoire que les noms des bons princes, et laisser mourir ceux des autres, avec leur indolence ou avec leurs injustices. Les livres d'histoire se verraient à la vérité diminués de beaucoup, mais l'humanité y profiterait, et l'honneur de vivre dans la mémoire ne serait que la récompense de la vertu. Le livre de Machiavel n'infecterait plus les écoles de politique, on apprendrait à mépriser la contradiction pitoyable dans laquelle il est toujours avec lui-même, et l'on verrait que la véritable politique des rois, fondée uniquement sur la justice et la bonté, est bien différente du système décousu, rempli d'horreurs et de trahisons, que Machiavel a eu l'impudence de présenter au public.