<140>Je dois cependant rendre compte de quelques faux raisonnements qui se trouvent dans ce chapitre. Machiavel prétend que ce qui rend un prince odieux, c'est lorsqu'il s'empare injustement du bien de ses sujets, et qu'il attente à la pudicité de leurs femmes. Il est sûr qu'un prince intéressé, injuste, violent et cruel ne pourra point manquer d'être haï et de se rendre odieux à ses peuples; mais il n'en est pas toutefois de même de la galanterie. Jules César, que l'on appelait à Rome le mari de toutes les femmes et la femme de tous les maris, Louis XIV, qui aimait beaucoup les femmes, Auguste Ier, roi de Pologne, qui les avait en commun avec ses sujets, ces princes ne furent point haïs à cause de leurs amours; et si César fut assassiné, si la liberté romaine enfonça tant de poignards dans son flanc, ce fut parce que César était un usurpateur, et non pas à cause que César était galant.

On m'objectera peut-être l'expulsion des rois de Rome au sujet de l'attentat commis contre la pudicité de Lucrèce, pour soutenir le sentiment de Machiavel; mais je réponds que, non pas l'amour du jeune Tarquin pour Lucrèce, mais la manière violente de faire cet amour donna lieu au soulèvement de Rome; et que, comme cette violence réveillait dans la mémoire du peuple l'idée d'autres violences commises par les Tarquins, ils songèrent alors sérieusement à s'en venger, si pourtant l'aventure de Lucrèce n'est pas un roman.

Je ne dis point ceci pour excuser la galanterie des princes, elle peut être moralement mauvaise; je ne me suis ici attaché à autre chose qu'à montrer qu'elle ne rendait point odieux les souverains. On regarde l'amour, dans les bons princes, comme une faiblesse pardonnable, pourvu qu'elle ne soit point accompagnée d'injustices. On peut faire l'amour comme Louis XIV, comme Charles II, roi d'Angleterre, comme le roi Auguste; mais il ne faut imiter ni Néron ni David.

Voici, ce me semble, une contradiction en forme. Le politique veut, « Qu'un prince se fasse aimer de ses sujets, pour éviter les con- »